Un grand chanteur, repris par des grandes voix : registre musical plébiscité, la «cover» s’applique aussi très bien à la mode. C’est ce qu’atteste l’initiative prise Gaultier Paris au lendemain de l’adieu de son fondateur, Jean Paul : inviter chaque saison un créateur différent à dessiner une collection de haute couture pour la maison, en s’emparant de ses codes. Après Chitose Abe (de la marque Sacai), Glenn Martens (Y /Project) et Olivier Rousteing (Balmain), les clés ont été données à Haider Ackermann, autrefois en activité à la tête de son propre label avant de passer par Berluti et qui est récemment revenu sur le devant de la scène en découvrant, à la dernière Mostra de Venise, le dos de Timothée Chalamet. Le ravissant damoiseau franco-américain a d’ailleurs assisté au défilé présenté mercredi en fin après-midi au QG de la marque, rue Saint-Martin, dans le IIIe arrondissement – avec Kylie Jenner, également dans la place, Chalamet fait partie des people qui ont électrisé cette Fashion Week parisienne.
Sur le papier, Gaultier /Ackermann promet un intrigant chaud /froid. L’exubérance versus le frémissement, la déconstruction crépitante à l’épreuve du tailoring hiératique, l’iconoclastie joyeuse crossing l’élégance mélancolique. De fait, d’emblée, on est chez Ackermann, avec ces passages très lents qui rompent avec le rythme échevelé dont étaient synonymes les défilés de JPG. Les filles (et quelques garçons), dont les royales Mariacarla Boscono et Saskia De Brauw, procèdent à l’ancienne, en marquant des pauses (et des poses) dans leur progression, qui permettent de voir les détails de leurs tenues dont l’épure coupe les souffles quand l’audace de celles de JPG déclenchait de grands sourires voire des applaudissements. En tout cas, les codes Gaultier sont bien là. A commencer par le fameux corset. En version adoucie, aplatie, il est souvent couplé à de très beaux pantalons effilés comme la dague. Les robes longues aussi, grandioses, serpentines, longilignes à forme fourreau parsemées de plumes ou encore arrondie au buste, Balenciaga en diable (sculpturale, donc), d’un violet vif. Certaines, pour divas, jouent de l’asymétrie manche longue /sans manche avec le sein à peine couvert d’un grand pétale. Plusieurs révèlent un dos à la Mireille Darc dans le Grand Blond.
S’il est une chose que partagent bien JPG et Ackermann, c’est le costume-pantalon, notamment pour femme. Celui qui ouvre le défilé, complètement noir hormis des liserés blancs aux poignets, à plastron tissé, est d’une classe folle. Un autre est électrisé par un plastron en plumes indigo. Les pantalons ont tous un tombé qui laisse baba. C’est d’ailleurs l’impression générale qu’on retire de ces 36 passages : une prouesse indéniable. Il nous manque tout de même l’entrain foufou qui faisait qu’avec Jean Paul Gaultier, la haute couture était bien vivante.
Aliens et dentelle
Le Palais Brongniart aka la Bourse de Paris : l’endroit est idoine pour un défilé Fendi, marque italienne rutilante – propriété du non moins rutilant groupe LVMH. Le décor joue cependant l’épure, grand cercle blanc juste animé par deux lignes noires et un plafond aux airs de soucoupe volante. Les filles impavides aux cheveux lissés en arrière (et parfois longs gants argentés) font d’ailleurs de belles aliens, à commencer par Saskia De Brauw, déjà enchanteresse chez Jean Paul Gautier. Ce look futuriste contraste avec leur vestiaire, entièrement constitué de robes aux échos de nuisette et de sous-vêtements, plutôt romantique.
La finesse et le raffinement des matières et des techniques convoquées sont évidentes. Plissés, drapés, laçages, broderies, dentelles… chaque robe est une œuvre ambulante, d’une délicatesse dont on se demande comment elle peut résister au mouvement humain. Un seul coup d’œil suffit à comprendre que toutes ont exigé des «petites mains» virtuoses des heures voire des jours durant. Certaines semblent tout bonnement des nuages, à longues traînes. Moins ouvragées que d’autres (dorées, argentées), d’un luxe moins ostentatoire, elles ont notre préférence. Les passages gris, notamment, couleur de prédilection du designer Kim Jones et qui est déclinée jusqu’au diaphane, très beau. Le tout suggère une vie de boudoir, de la pure fiction. Faire rêver, c’est la promesse de la haute couture.