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Prêt-à-porter

Fashion Week : haut les filles !

Les défilés parisiens dédiés au prêt-à-porter féminin du printemps-été 2024 ont commencé lundi 25 septembre et se poursuivront jusqu’au 3 octobre. Aperçu des propositions de Marie Adam-Leenaerdt, Peter Do et Dior.
Chez Peter Do, mardi au Palais de Tokyo, les lignes comme les proportions sont ultraprécises. (Peter Do)
publié le 26 septembre 2023 à 19h37

La Belge Marie Adam-Leenaerdt, 27 ans, a ouvert lundi 25 septembre dans l’après-midi la nouvelle salve de défilés parisiens dédiés au prêt-à-porter féminin. Il s’agit de sa deuxième collection sous sa propre marque, après des débuts remarqués en février. La maîtrise technique réchauffée de trouvailles ludiques avait impressionné, le cocktail conceptuel-poétique-ironique laissait pressentir une forte personnalité.

La diplômée de l’Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre, fameuse pépinière de Bruxelles (berceau de Marine Serre, entre autres) confirme avec un défilé où un réflecteur d’UV dépliable en aluminium attend l’assistance, flanqué de la mention «Attention. L’exposition au soleil présente des risques». En écho, certaines filles semblent rougies par une exposition trop brutale. Mais aucune n’a des airs ou l’allure de victime. Du power dressing (les silhouettes du début, hiératiques robe-manteau noire et tailleur-pantalon gris) à la panoplie de plage (maillot de bain panthère, robe bain de soleil, minijupe rose irisé disco), elles ont du chien (certaines jusqu’à la cinquantaine) et leurs épaules sont systématiquement mises en valeur, soulignées, rehaussées ou dévoilées, affirmation de la carrure féminine qu’on prend aussi au figuré.

La bande-son envoie le tube hédoniste Let the Sunshine in de Hair, la silhouette en tissu-éponge nous rappelle les années 70, les robes à imprimé fond de piscine ont un côté dolce vita sur la Riviera des années 80. L’ensemble ne tombe pas pour autant dans le vintage vu et revu. Il y a quelque chose de bien aiguisé et personnel dans la proposition de Marie Adam-Leenaerdt, qui ourdit des vêtements mutants (le maillot-robe-paréo), mouvants (fluides et fermes). Pourvu qu’elle l’affirme encore, au-delà de l’empreinte perceptible de Balenciaga (maison par laquelle elle est passée) ou de la proximité qu’on perçoit avec le travail de Jonathan Anderson – dans la robe cabine de plage ou celles à plastron rigide.

Noblesse

Peter Do, qui faisait mardi matin ses débuts parisiens mais dont la marque est déjà plébiscitée outre-Atlantique où il s’est formé, propose une élégance très «force tranquille», pas euphorisante mais qui impose le respect. Au Palais de Tokyo, le trentenaire américain d’origine vietnamienne basé à New York fait défiler lentement quarante silhouettes féminines et masculines qu’on imagine pour executives ou socialites aux goûts affûtés, branchés design notamment, et que désole l’ostentation du parvenu. Ses lignes comme ses proportions sont ultraprécises, suggèrent une main et une volonté qui ne tremblent pas. Mention notamment aux grands pantalons, tous magnifiques, et aux tailleurs (jupe, pantalon, bermuda et même short) d’une noblesse irréfutable. La gamme de couleurs est classique, sans tapage : blanc, noir, gris, beige, bouffées de rouge. Certains passages ont un côté Mondrian.

La silhouette est en X, très épaulée, très resserrée à la taille et ensuite évasée. Do joue sur les associations de matières, sur les longueurs, associe un blouson croppé à une chemise oversize à très longues manches. La rigueur graphique est adoucie par des découpes qui laissent entrevoir la chair, des jeux de manches (qui n’en sont pas), des jeux de lanières et de boutonnages. Il aime notamment travailler le dos, le lacer, bonus pour celui qui aura la bonne idée de se retourner.

Eloge de la sorcière

Au jardin des Tuileries, dans une immense boîte rectangle qui fait face au Village Rugby, la directrice artistique des lignes femme de Dior, Maria Grazia Chiuri, invite à mettre des caramels au patriarcat, via le décor de son défilé. Il consiste en une œuvre numérique aux couleurs bien stridentes (jaune et fuschia) conçue par l’artiste visuelle Elena Bellantoni et intitulée Not her : un écran LED de sept mètres de long coule le long des murs et il s’y succède des images, affiches et messages (en anglais) féministes - «I’m not only a mother, wife, daughter, I’m a woman», «Take your hands off when I say no, take tour eyes off when I say no, I say no», «Woman is an active subject of the historical process and cannot be confined to being the object of desire of patriarchy», entre autres. La designer italienne en place depuis 2016 maintient là sa méthode : faire de chaque défilé un manifeste, en collaboration avec une artiste.

On a pu parfois trouver un décalage entre le message et le vestiaire présenté. Ce n’est pas le cas depuis deux saisons, et cette salve confirme. A partir de la figure de la sorcière, emblématique des ravages de la misogynie, Maria Grazia Chiuri suggère des filles auxquelles il ne faut pas chercher des noises, graves, altières, les cheveux en chignon, le teint pâle et les lèvres sombres. La dentelle (surtout noire, parfois chair) et les transparences abondent, mais pas en version mièvre, plutôt vénéneuse. Les ballerines pointues à sangles qui montent jusqu’au genou façon serpents, ajoutent du piquant, de même que les chokers, ces colliers ras du cou. Abondante, la proposition compte aussi de nombreuses et majestueuses chemises blanches et noires, mention à celles asymétriques qui laissent une épaule découverte. Portées avec une jupe feuilletée, elles donnent à voir une féminité très équilibrée, subtile et forte à la fois.