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Défilés

Fashion week : l’homme a de la tenue

Le confort règne, mais structuré, aux défilés parisiens dédiés au prêt-à-porter masculin du printemps-été 2023, qui se poursuivent jusqu’à dimanche.
marque Lemaire (Lena C. Emery)
publié le 23 juin 2022 à 20h45

Alors que les défilés milanais, la semaine dernière, se sont déroulés dans une chaleur de plomb, la caravane fashion reprend son souffle dans la capitale française post-canicule. Mais le réchauffement climatique est vraisemblablement dans la tête des designers, qui cultivent plus que jamais la légèreté des matières et le confort. Ils sont néanmoins tenus, on n’est plus dans le relâchement des confinements.

Harmonie à moduler

Chez Lemaire, tout concourt à l’aisance raffinée. Au musée des Arts et Métiers, dans le IIIe arrondissement parisien, on n’assiste pas à un défilé mais on déambule dans une scène de la vie de tous les jours : dès les escaliers, un duo d’hommes adossés au mur discute, puis des femmes, qui marchent ensemble, puis un groupe mixte. Sur un banc, une fille fait la sieste. Sur celui d’à côté, une mère et ses filles papotent. Sur une chaise, une femme écrit, sur une autre la musicienne et chanteuse ambient américaine Ana Roxanne joue en live, c’est doux, aérien. Ce que suggèrent Christophe Lemaire et Sarah-Linh Tran est l’inverse d’aujourd’hui : une humanité harmonieuse, apaisée, mains dans les poches, presque méditative, élégante sans être dans la monstration. En écho, la collection, unisexe, multiplie les détails (pinces, froissements, jeux de boutonnage, de cols, de liens, de superpositions) mais ils ne sont pas d’une écrasante technicité, plutôt une invitation à les moduler selon l’envie et à l’envi. La fluidité règne, grâce aux coupes et aux matières, dont le coton parachute ultralight qui donne envie de caresser, ou la soie nylon qui froisse joliment. L’éventail des couleurs est large – blanc, ciment, taupe, sable, rose pâle, rouille, bleu marine, bleu pâle, ardoise, noir. Les silhouettes monochromes jusqu’à l’accessoire (vive la banane), souples et longues, sont d’une classe intemporelle, on se réconcilie avec le pantalon à pinces qui a là une belle ampleur avant de plonger sur le coup de pied. Le pouvoir de la robe chemisier est réactivé par des torsions, la parka d’été rose semble légère comme la bulle, les imprimés conçus par le dessinateur Noviadi Angkasapura sont des rhizomes poético-mystérieux qui promettent un supplément d’âme au quidam.

Gang à genoux déchirés

Autre salle, autre ambiance, mais le propos est tout aussi vertébré : chez Givenchy, pour son premier défilé totalement dédié à l’homme, l’Américain Matthew Williams envoie du bois au rayon streetwear qui est son registre de prédilection, où il a cartonné avec sa marque, 1017 ALYX 9SM. Il y a dans sa démarche une tension, voire une provocation. Les gars qui émergent du cube blanc planté à Ecole militaire tiennent du gang plutôt que des rangs de bons petits soldats. Ils avancent le torse souvent nu et bardé de grosses chaînes, le visage fréquemment dissimulé par un col roulé remonté comme une cagoule, ou alors le regard caché par des lunettes noires bien opaques. Le sol est d’eau (blanche), ils le martèlent de leurs grosses bottes de pluie ou alors en sneakers proches de la godasse de trek, Williams a le sens de la chaussure frappante. Vestes, pantalons, bermudas multipoches, imprimés simili camouflage : on perçoit des échos de battle-dress, mais alors pour la guérilla urbaine, celle qui vise à marquer son territoire en tant qu’affranchi des codes en cours. Les gars de Williams affichent et revendiquent le luxe (le logo est omniprésent), piquent volontiers les yeux – les vert et rose fluos claquent sur un pantalon zippé de partout, sur des coupe-vent hyperfins, sur un caleçon qui dépasse du pantalon taille basse ou sur un survêt. Mais ils peuvent aussi la jouer tranchants comme la dague, en noir de pied en cap, par exemple en veste de costume associée à un long short cargo. Williams ose également le pantalon déchiré aux genoux, qui révèlent alors une doublure ornée du logo maison. Mention à une implacable chemise sans manches blanche, boutonnée jusqu’au cou. Le tout dégage un mélange de fierté et de décomplexion bien électrique.

Amplitude et douceur

Surdimensionner le vêtement dans sa forme la plus classique (de la chasuble au costard à double boutonnage) est l’une des spécialités de Hed Mayner qui défilait ce mercredi dans un gymnase de la rue Volta dans le IIIe arrondissement. Le créateur d’origine israélienne, qui dessine ses collections entre son pays natal et Paris, ajoute une complexité à son vestiaire avec ce qu’il appelle des looks à deux dimensions : l’avant et l’arrière des silhouettes se répondent de façon souvent surprenante. Le défilé débute sur une blouse en broderie anglaise blanche fermée dans le dos par un simple lien, portée sur un pantalon immaculé surmonté d’une jupe tablier. On apprend que le créateur upcycle du linge de lit surmonté de broderies pour fabriquer ces jupes tabliers, découper un grand col qu’il dépose sur une blouse ouverte à l’arrière. Une veste d’atelier bleue, gigantesque et élimée, révèle un dos nu.

L’amplitude est à la base du propos de Mayner qui cherche à créer des ensembles cocon aux antipodes de l’effet anxiogène que crée un Demna Gvasalia (chez Balenciaga) avec le même principe de gigantisme. Chez Hed Mayner, ça donne les manches ultra longues d’une veste beige sans bouton, une veste croisée aux épaules XXL et tombant juste au-dessus du genou, un blouson en jean immense sur un pantalon tout aussi vaste.

L’effet waouh

Le Belge Glenn Martens a plus que jamais le vent en poupe. Depuis son arrivée à la tête de la direction artistique de Diesel en 2021 et sa collaboration couture avec Jean Paul Gaultier en janvier, tout ce qu’il touche se transforme en or dans les médias et sur les réseaux sociaux. Y /Project, sa marque de cœur, a défilé mercredi soir dans l’arrière-cour du lycée Victor-Duruy dans le chic VIIe.

Le podium surélevé est recouvert de gravier gris. Le pas des modèles (hommes et femmes) se fait entendre de loin, au rythme d’une bande musicale d’abord composée du son d’un tambour qui ne fera que s’accélérer, accentuant ainsi la dramaturgie de l’ensemble, avant de se transformer en «mélodie» d’after techno.

Glenn Martens abandonne un peu l’hybridation qui a fait sa légende pour se concentrer sur des imprimés créés lors de sa collaboration avec Jean Paul Gaultier. Une série de trompe-l’œil très réussis se succèdent, comme ce tee-shirt blanc jean bleu qui apparaît sur une robe à manches longues, le haut d’un denim qui s’achève au bas d’un tee-shirt, une culotte en jean sur une minijupe, des vestes sur lesquelles apparaissent des fesses juste habillées d’un slip. Martens s’amuse encore à déployer des bottes de sept lieues aux volumes immenses tombant en drapés. Il met des boucles doigt d’honneur aux oreilles des filles et des garçons, crée une robe du soir en jean noir délavé, fort longue et fort décolletée, recouverte de losanges en jean effilé. Il dessine aussi des débardeurs aux manches coupées à l’avant qui ne tiennent que grâce à une structure probablement métallique cachée dans le tissu créant un effet waouh amusant et magique.