Neuf jours de défilés de mode : ce lundi, après Londres et Milan, c’est au tour de Paris d’ouvrir sa fashion week dédiée au prêt-à-porter féminin de l’automne-hiver 2022-23. Mais comment font-ils ?, grincent d’aucuns. Comment peut-on maintenir cette avalanche de fringues et de bling alors que l’Ukraine croule sous l’étau russe ? Des défilés de mode sur fond de catastrophe locale ou internationale (attentats, guerre, séisme, pandémie…), cela n’a pourtant rien d’inédit. Ce «show must go on» quoiqu’il arrive conforte d’ailleurs la réputation d’insupportable légèreté, de cynisme, que beaucoup accolent au secteur.
C’est oublier qu’une fashion week est avant tout une vitrine, celle du vêtement haut de gamme, lequel relève du luxe, industrie qui, comme les autres, réagit aux turbulences de tout acabit en tâchant de maintenir le cap. Et, vu son poids économique (un million d’emplois directs et indirects, une contribution supérieure dans le PIB français à celles de l’automobile et de l’aéronautique réunies), on peut s’en féliciter. Par ailleurs, le secteur de l’habillement et du textile a, dans son ensemble, besoin de se refaire une santé et une image : ses ventes n’ont toujours pas retrouvé leur niveau ante Covid et la défiance croissante envers le vilain petit canard de la famille, la fast fashion, s’amplifie. La rutilante semaine de la mode vante, elle, l’excellence.
Toujours est-il qu’on est aussi en droit de se demander comment cette salve parisienne, européenne donc, va répondre à la guerre en Ukraine. La mode n’est pas hors sol, elle a régulièrement accompagné, reflété, commenté, l’actualité sociétale – et, partant, politique. Certes, les collections ne se conçoivent pas au dernier moment, et un designer ne saurait anticiper un conflit impensable même pour les as ès géopolitique. Mais faire comme si de rien n’était, est-ce recevable ?
Paris fera-t-elle mieux?
Jusqu’à présent, seul Giorgio Armani s’est publiquement prononcé : dimanche 27 février, lors de la semaine de la mode de Milan, le défilé de sa marque s’est déroulé dans un silence complet. «Ma décision de ne pas utiliser de musique au sein du show se veut un signe de respect à l’égard des populations impliquées dans la tragédie qui se déroule actuellement en Ukraine», a indiqué le créateur de 87 ans dans un communiqué. Aucun autre signe ostensible n’a été émis par les designers, tandis que des citoyens manifestaient contre l’invasion russe dans les rues de la capitale italienne de la mode. Comme si, face à Poutine, les exubérants du vêtement se rencognaient dans une bulle de frilosité inquiète.
Paris fera-t-elle mieux ? Ou se drapera-t-on aussi dans un évitement qui suggère que trop d’intérêts sont en jeu, alors même que la Russie n’est créditée qu’entre 1 % et 2 % du marché mondial du luxe ? Quatre-vingt-quinze maisons sont inscrites dans le calendrier officiel et grâce au recul de la pandémie de Covid, les défilés physiques reprennent le pas sur les vidéos, ce qui offre d’autant plus de possibilités d’oser un geste spontané. Et les fortes personnalités, aptes au message spectaculaire, ne manquent pas. On pense notamment à Olivier Rousteing (Balmain), Rick Owens, Vivienne Westwood, Demna Gvasalia (chez Balenciaga), Stella McCartney, Jonathan Anderson (Loewe)… Avoir du panache, pour une semaine de la mode, ce serait chic.