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Mode

Fashion week: Off-White au ski, Dior à moto

Les défilés parisiens du prêt-à-porter féminin de l’automne-hiver 2022-23 ont commencé lundi. Aperçu de deux propositions.
Au défilé Dior, pour les collections prêt-à-porter féminin automne-hiver 2022-23, à Paris, le 28 février. (Cha Gonzalez/Libération)
par Sabrina Champenois et photo Cha Gonzalez
publié le 1er mars 2022 à 19h47

Et pendant ce temps, Poutine bombarde l’Ukraine, qui résiste, se terre, ou prend les chemins de l’exil… Il en faut, du compartimentage de cervelet, pour s’intéresser à la semaine de la mode qui a commencé ce lundi à Paris. Ça tombait bien, le «la» de cette salve dédiée au prêt-à-porter féminin de l’automne-hiver 2022-23 a été donné par un hommage posthume, celui de la marque Off-White à son designer et fondateur Virgil Abloh emporté en novembre dernier, à 41 ans, par un cancer : le chagrin tout en retenue que ce défilé charriait, a empêché une indécente réjouissance et permis d’apprécier sa qualité.

Baby doll et abominable homme des neiges

Un casting de choc, côté assistance comme mannequins : c’est sans doute l’aspect du défilé qui a été le plus commenté, lundi soir, après la demi-heure de spectacle donné au Palais Brongniart, place de la Bourse. A la sortie, on croisait notamment un groupe de jeunes filles en feu, qui criait «Rihanna ! Rihanna !» tout en courant – comment font-elles pour courir et rire autant ? La diva de la Barbade poursuit allègrement son périple mode qui l’a déjà vue à Milan la semaine dernière, son compagnon A$AP Rocky au bras et son ventre arrondi en bandoulière, triomphante (et ravissante) comme jamais. Pharrell Williams, Idris Elba, Paul Pogba, Carla Bruni, Tina Kunakey, et les designers Olivier Rousteing, Grace Wales Bonner, Jerry Lorenzo, Marcelo Burlon, Tremaine Emory et Nigo étaient aussi de la partie. Il y avait du répondant sur le podium : les tops d’aujourd’hui (dont les sœurs Bella et Gigi Hadid, Kendall Jenner, Kaia Gerber), celles d’hier (Naomi Campbell, Amber Valletta, Cindy Crawford, Helena Christensen), ou encore la queen de la raquette Serena Williams – pour qui Virgil Abloh avait conçu des tenues (de tennis) mémorables, notamment une jupe tutu.

Un tel bataillon supposait des armures de compétition, ça a été le cas – en version mixte. Avec pour conséquence de réactiver la vague de sincères regrets qui avait emporté, en janvier, le public du dernier défilé Louis Vuitton – dont Abloh dirigeait les collections homme. On retrouvait notamment l’art du mix de l’ancien DJ, qui se jouait des registres de la mode avec une (im) pertinence bluffante, qui a largement contribué à l’hybridation désormais de rigueur partout, et qui a fait de Off-White une marque phare de la génération Z. Pour preuve les éléments du décor : d’un côté un immense chandelier et de l’autre une grande colonne de baffles – la bande-son était assurée par Jeff Mills, figure de la techno de Detroit.

Abloh, c’est l’alliage du sportswear et couture, de la détente et du formel, du cool et du chic. C’est une bombe (d’équitation) portée avec un costume, une minirobe de baby doll associée à de grosses Moon Boots (le ski et le snowboard irriguent cette collection), une grande doudoune sur robe de soirée et escarpins, de l’oversize autant que du skinny, des vestes de tailleur qui voisinent avec des blousons d’abominable homme des neiges, des costumes pantalons d’homme à surjupe ultrachics, du prince de Galles, des pois, du tie and dye, des couleurs qui claquent, une robe de mariée portée avec des baskets. Au total, un feu d’artifice en 84 silhouettes. La bonne nouvelle est que cette vitalité devrait se prolonger : Abloh aurait laissé suffisamment d’idées pour irriguer le travail du collectif maison qui a pris sa relève, et il a été annoncé que les 28 passages qui concluaient le show, des robes de soirées bouffantes ou plissées, marquent le début d’une ligne «High Fashion».

Aérodynamie et asymétries

On retrouvait Rihanna, mardi après-midi au défilé Dior, qui avait lieu dans un immense barnum installé dans le jardin des Tuileries. Le décor, conçu par l’artiste italienne Mariella Bettineschi, était celui d’un musée, dont les murs étaient constellés de tableaux de figures féminines, en noir et blanc : des versions d’œuvres plus ou moins connues (dont la Dame à l’hermine de Léonard de Vinci ou la Jeune Fille à la perle de Vermeer), qui présentaient la particularité que les portraiturées avaient, là, les yeux coupés et doublés : «Ils remettent en question le jugement qui conditionne les femmes d’hier et d’aujourd’hui», indiquait le communiqué, qui précisait que «cette collection tend à exprimer la complexité de la mode qui revisite l’héritage pour imaginer les lignes de demain, un parcours qui façonne les artefacts d’un monde nouveau, d’un autre monde, à fabriquer et à inventer».

Cette volonté de projection était bien perceptible dans l’entame du défilé (les 20 premiers passages sur 83), qui mêlait univers de la moto (combinaison aérodynamique, blouson et grands gants en cuir, couleurs bien flashy de course) et vestiaire hyperféminin – robes, jupes, tulle, dentelle, qui prenaient du coup un bon coup de fouet. Les matières techniques (collaboration avec la société italienne D-Air Lab, spécialisée dans le vêtement sportif) se mêlent aux classiques; aux pieds, des escarpins brodés de fleurs à bout carré (collaboration avec Roger Vivier), se nouent à la cheville façon bracelet électronique et se portent avec des chaussettes hautes et pétaradantes.

La suite était moins étonnante, même si Maria Grazia Chiuri introduit des éléments plus roots qu’habituellement comme des bottes de pêcheur ou des boots de motard ou militaires qui cassent le côté sage des jupes plissées, elles-mêmes chahutées par de multiples asymétries. On note le travail sur la taille (les ceintures corsets très alaïesques, les robes, jupes et pantalons Empire), la veste Bar prend une allure aérodynamique. Un imper bleu jean comme en plastique envoie du bois. L’ensemble exsude la maîtrise, l’opulence et l’efficacité, pas le vent de folie. Mais garder la tête froide en ces temps de dingue, ça se défend.