Ses défilés font partie des plus spectaculaires des semaines de la mode. Ils sont électriques et hypnotiques, les vestiaires comme les humains que Rick Owens met en scène sont beaux bizarres, fascinants, dérangeants, bruts et sophistiqués à la fois, âpres et lyriques, organiques et spirituels, préhistoriques et futuristes, underground et glamour. Ils suggèrent une tribu d’outsiders voire de hors-la-loi et fiers de l’être, fragiles et défiants à la fois.
Ce jeudi 18 janvier, c’est dans son QG parisien brutaliste sis place du Palais-Bourbon, en face de l’Assemblée nationale, que le très francophile designer américain a proposé sa version du prêt-à-porter masculin de l’automne-hiver 2024. On pouvait quasiment s’allonger sur les bancs écrus moelleux à souhait. «Le calme avant la tempête», anticipait un connaisseur d’Owens. Le calme a pourtant prévalu, du moins côté ambiance – pas d’infrabasses à affoler le palpitant, cette fois. La collection, elle, est bel et bien grandiose, digne d’un film d’anticipation.
En musique
Un élément, un accessoire, a notamment coupé les souffles. Des bottes gonflées qui ne ressemblent à rien de connu et qu’on peine même à caractériser. On hésite entre ogives (missiles) et suppositoires… Elles montent jusqu’au-dessus du genou et semblent étonnamment stables et confortables, les mannequins souvent encagoulés avançaient à grandes enjambées. La note d’intention indique qu’elles sont extensibles, en caoutchouc, et qu’elles résultent d’une collaboration avec Straytukay, «designer londonien qui expérimente les volumes architecturaux et a le don pour la construction technique». Déclinées en noir, mastic, bordeaux, ces bottes à mille lieues du commun participent à sculpter la silhouette, apportent une rondeur, une excroissance, à un endroit inattendu. Owens soigne de fait toujours les chaussures, ses plateformes à talons transparents (pour hommes et femmes) sont cultes, il est aussi un habitué des collabs, a par exemple participé au Barbicore alimenté par le film de Greta Gerwig avec une Converse rose bonbon.
L’ampleur de ces bottes fait écho au jeu des volumes dont Owens est expert, du micro au macro qu’il télescope avec une dextérité folle. Les silhouettes sont effilées, comme étirées, les vêtements forment une armure. Cette fois, on a entre autres vu une doudoune à immense col façon chauve-souris ou alors façon énorme carapace de tortue, des combinaisons spatiales en cachemire, alpaga, ou mérinos recyclé, un immense manteau à zips comme craquelé, pour roi de l’inframonde, tandis que des combinaisons et des capes en feutre épais et hérissé sont pour abominable homme des neiges. Rick Owens précise que «les proportions sont grotesques et inhumaines dans une réaction hurlante à certains des comportements humains les plus décevants dont nous serons témoins au cours de notre vie, mais il y a l’éternel espoir utopique d’un endroit meilleur». Des bottes pour prendre ses jambes à son cou, loin de ce monde de brutes ?