Des shows avec vue imprenable sur la Tour Eiffel, qui se concluent avec la dame de fer qui scintille : les défilés Saint Laurent, qui se tiennent traditionnellement dans un énorme barnum installé à côté de la fontaine du Trocadéro, c’est l’effet «wow» garanti. Le vestiaire présenté mardi soir était au diapason : 56 silhouettes d’une précision et d’une évidence spectaculaires quoique sans esbroufe. Le noir est majoritaire, à peine ponctué de blanc, de gris, de marron ou de chair alors qu’Anthony Vaccarello sait faire pétarader la couleur. Cette sobriété, d’un timing parfait, résonne avec la gravité que suscite l’invasion russe en Ukraine.
Anthony Vaccarello, qui nous a habitués à des amazones de macadam juchées sur des stilettos vertigineux, aux allures d’agentes secrètes vénéneuses, met cette fois en scène des femmes solides comme des rocs, qui avancent les mains dans les poches, avec la nonchalance des puissantes ou des panthères avant l’attaque, insondables derrière leurs lunettes noires. Un communiqué post-défilé précise que Vaccarello s’est inspiré de Nancy Cunard, l’incandescente écrivaine, éditrice et militante antifasciste et antiraciste anglaise qui a vécu à Paris à partir des années 20, où elle est devenue une figure incontournable du milieu intellectuel et artistique, héroïne des surréalistes et des dadaïstes entre autres. Son allure, aussi flamboyante que son tempérament, convoquait notamment des éléments du vestiaire masculin, en pionnière.
Sa route, qui s’est interrompue en 1965, n’a pas croisé celle d’Yves Saint Laurent. Toujours est-il que son personnage fait un viatique ad hoc des codes de la maison : les cabans, les smokings, les blousons boules, les immenses manteaux en fourrure – fausse, ici – portés à même la peau. Vaccarello accentue les épaules et les cols, qui peuvent plonger jusqu’au nombril, étroitise les manteaux et les trenchs (mention à ceux en cuir), associe cuirasse (manteaux, blousons) et vulnérabilité (tops, robes, jupes arachnéennes), esquisse des drapés, décline la fameuse «petite robe noire» du soir comme autant de coups d’épée : limpide et tranchante, avec des modulations subtiles – jeu sur les cols, les transparences, les asymétries.
Les éléments clefs de la marque
A 10 h 30 ce mercredi, à l’heure où le défilé de la maison Courrèges s’apprêtait à commencer, une autre marque retenait l’attention des invités : Balenciaga, l’un des bastions du groupe Kering, menée par Demna Gvasalia, dit «Demna», créateur né en Géorgie à l’époque où le pays était encore une république soviétique, annonçait qu’elle relaierait prochainement sur son site des informations permettant de venir en aide aux réfugiés ukrainiens, et qu’elle inciterait sa clientèle à faire des dons au programme alimentaire mondial des Nations unies. Balenciaga est la première marque d’envergure à prendre position en apportant son soutien à la population ukrainienne.
Chez Courrèges, un immense carré de canettes de soda argentées sert de décor. Les silhouettes, longues et fines, le contournent à grandes enjambées. Nicolas di Felice, à la tête de la création de la maison, cherche le trait d’union qui saura rappeler où l’on est tout en indiquant où l’on va. On retrouve les éléments clefs de la marque (le logo parsemé partout, les minijupes portées avec de grandes bottes à multiples boucles, ou en total look vinyle avec un blouson court et des cuissardes, des lunettes masques ou façon visière, des minirobes, des chaussures plates), mixés à des éléments sensuels et sans fioriture (transparence, format court et près du corps). Les silhouettes se lisent de deux, voire trois façons : de face, de profil et parfois de dos. Les jupes, robes et pantalons sont ainsi joliment ajourés sur les côtés – un look que le personnage de Maddy, dans la série Euphoria, ne renierait pas.
Silhouettes élaborées en double face
Depuis 2006 et la naissance de leur marque The Row, les jumelles Olsen se sont imposées comme des figures de la mode américaine, faisant presque oublier leur passé de ministars de sitcom (la Fête à la maison) – ce qui n’est pas une mince affaire. Leur credo est, depuis leurs débuts, limpide : une mode aux lignes épurées, presque rigoristes, parfaitement élaborée et se vendant à prix d’or, ce qui aide dans certains cas à se faire respecter.
Mary-Kate et Ashley Olsen sont chez elles à New York, mais c’est à Paris qu’elles ont choisi de défiler cette saison, et ce pour la première fois. La collection, réservée à quelques invités – peu d’invitations ayant été envoyées et aucune image divulguée par la marque à l’heure où nous écrivons ces lignes – reste fidèle à la ligne de la griffe, dont le nom fait référence à Savile Row, le quartier des meilleurs tailleurs de Londres. Contrairement à de nombreux autres, les sœurs Olsen ne s’adressent pas particulièrement à la génération Z. Leur collection a plutôt l’air de nous dire «bienvenue à l’âge adulte». Les silhouettes sont pourtant faussement sobres, souvent déstructurées dans le dos, élaborées en double face (un manteau en laine camel se porte à l’envers), ce que le maître Yohji Yamamoto n’aurait pas renié. Des éléments se répètent pour rythmer l’ensemble : des chemises blanches au col démesuré, des robes et des pulls aux manches fort longues, des mocassins plats et des bottes très épurées, des robes et des pardessus de grande ampleur comme ce manteau en cuir blanc cassé ou cette robe chasuble bleu marine. Les sœurs Olsen ont à peine montré le bout de leur nez à l’issue du défilé, vraisemblablement intimidées. Leur collection leur ressemble de ce point de vue, tout en retenue et en sobriété, mais globalement de bonne qualité.