Lundi soir, Bryan Grey Yambao, plus connu sous le nom de BryanBoy, l’un des influenceurs mode les plus célèbres d’Instagram (679 000 abonnés), Twitter (500 000 abonnés) et TikTok (2,9 millions) réunis, s’adressait à la nouvelle génération : «Si j’avais su ce que je sais maintenant, je n’aurais pas gaspillé tout l’argent que j’ai dépensé à l’époque en matière de vêtements. […] J’aurais dû me concentrer uniquement sur Chanel et Hermès. Alors, les enfants, s’il vous plaît, s’il vous plaît, économisez votre argent. Rien de tout cela n’en vaut la peine.»
If I knew then what I know now, I wouldn’t blow all that money I spent back in the day when it comes to clothes and should’ve just focused on Chanel and Hermes. So kids please please please save your money. None of it is worth it.
— bryanboy (@bryanboy) February 7, 2022
A bientôt 40 ans, Bryan Boy, qui met en scène sa passion pour la mode et ses looks – souvent de façon humoristique – depuis 2004, ne jure donc plus que par deux des maisons les plus luxueuses de l’industrie vestimentaire car, dit-il, ses dressings débordent de vêtements qu’il n’a plus envie, et même plus le temps, de porter. Lui peut désormais s’offrir des garde-robes entières de grandes marques quand il n’est pas abreuvé de cadeaux de la part des griffes de tout acabit. Les jeunes auxquels il s’adresse ont, dans leur immense majorité, beaucoup moins de budget pour s’acheter des sapes. Mais ils rêvent du même destin que lui.
Publicité gratuite
L’un des formats les plus prisés de TikTok, troisième réseau social préféré des jeunes de 16 à 25 ans actuellement (après Instagram et Snapchat), selon diverses études (1), donne à beaucoup l’illusion qu’ils peuvent se transformer en influenceurs de poids avec une facilité déconcertante. Le «haul» (butin en français), d’abord apparu sur YouTube, est l’un des contenus les plus viraux de la sphère TikTok et une caricature de ce que le consumérisme 2.0 peut engendrer.
Le principe est simple : vous vous filmez en train d’ouvrir un paquet garni de vos derniers achats, vous décrivez ce qui se trouve dans le colis, donnez votre avis sur le packaging et le produit en lui-même, que vous testez par la même occasion. Le haul peut être alimentaire, dédié aux jouets, aux meubles, aux cosmétiques et donc aux vêtements.
A ce jeu-là, les marques de fast fashion tirent largement leur épingle du jeu, et particulièrement Shein, géant chinois de la mode à – très – bas prix, selon un article du site Reporterre. Ses tarifs sont si attractifs, le turnover de ses produits si fréquents et ses offres promotionnelles si alléchantes, que Shein, né en 2008 et site de mode le plus visité au monde en 2021, ferait passer Zara et H&M pour des tortues du commerce vestimentaire. Un haul de produits Shein permet aux jeunes qui n’ont pas de gros moyens d’avoir l’air de déborder d’emplettes face caméra (le prix moyen d’un article sur la plateforme est de 7 euros).
Paradoxe
Sur TikTok, le hashtag #SheinHaul comptabilise 4 milliards de vues. Le site chinois bénéficie là d’une publicité hautement virale et gratuite, et donc d’une pluie de retombées commerciales. Le site permet par ailleurs aux «ambassadrices» et «ambassadeurs» de bénéficier de réductions s’ils font de la publicité pour ses produits. Dans la rubrique «affilié», il invite sa clientèle à «gagne[r] des commissions sur toutes les ventes référencées simplement en dirigeant les clients vers Shein», dans un système qu’il estime «gagnant-gagnant».
La surconsommation vestimentaire qui participe grandement à la pollution de la planète est pourtant au cœur des inquiétudes de la jeunesse. Interrogé par Reporterre, Jean-Baptiste Bourgeois, à la tête de la stratégie de l’agence de communication We are social, spécialisée dans les réseaux sociaux, souligne le paradoxe : «Cette génération est en principe très engagée, militante. Mais c’est aussi une génération qui dépense dans des marques de fast fashion et qui, de fait, encourage des modèles assez condamnables. Il y a une tension entre les valeurs écologiques et la réalité du portefeuille de ces jeunes, sujets à la tyrannie des réseaux sociaux.» Beaucoup de jeunes consommateurs n’ont pas le sentiment que leur participation au système soit le véritable problème, et pointent la responsabilité des sites d’e-commerce eux-mêmes – le cadet des soucis d’un mastodonte comme Shein.
(1) Notamment celle du Blog du modérateur et de Diplomeo, menée sur un panel de près de 3 800 jeunes ces derniers mois.