«J’ai entendu dire que l’esthétique de la femme de mafieux fait son retour», écrit Francis Ford Coppola dans un post Instagram. Les mots du réalisateur du Parrain, trilogie considérée comme l’une des œuvres les plus influentes de l’histoire, ont donné du poids à un style qui s’impose comme la première tendance mode de ce début d‘année sur TikTok.
@ktrivz manifesting a 24 carat diamond tennis necklace to match my mob wife energy #greenscreen
♬ original sound - kayla trivieri
Le style des personnages féminins des films et séries de gangsters cultes débarque en force sur le réseau social chinois : longs manteaux en fourrure, imprimé léopard, chevelures volumineuses, rouge à lèvres clinquant, pantalon en cuir, lunettes de soleil surdimensionnées et bijoux voyants. Le hashtag #MobWifeAesthetics a déjà dépassé les 50 millions de vues au cours des dix derniers jours. La tendance est en passe de renvoyer aux oubliettes le minimalisme élégant (quasi inatteignable) du «quiet luxury» («luxe discret») et l’esthétique de la «clean girl» («fille propre, sobre») qui a régné sans partage l’an dernier sur les réseaux sociaux.
Tape-à-l’œil des années 80 et 90
Le 7 janvier, l’influenceuse canadienne Kayla Trivieri se la joue prophète. Elle soutient dans une vidéo virale (1,7 million de vues) : «Fini la clean girl, c’est l’ère de la femme de mafieux.» Cette annonce a donné naissance à une flopée de vidéos qui ont inondé les réseaux sociaux. Selon la créatrice de contenus d’origine italienne, le style mafiosa est dans la continuité d’une imagerie féminine coquette ou «barbiecore». La mafieuse, pose-t-elle, «est une femme, pas une fille. Elle a confiance en sa sexualité. Elle est consciente du fonctionnement du monde et sait comment en tirer des avantages». L’esthétique «mob wife» inviterait donc à ne pas raser les murs mais à prendre de la place et à abuser de son charisme.
L’objectif est d’être une femme qui a du chien à l’image de la figure mythique d’Elvira Hancock (interprétée par Michelle Pfeiffer), épouse de Tony Montana (Al Pacino) dans Scarface (1983). Dans le film, Elvira jette son verre à la gueule de son mari, en rétorsion à ses critiques sur son physique et son addiction à la came. Elle le largue et ne reviendra plus. D’autres mob wives fictionnelles ont marqué la pop culture comme Ginger McKenna (Sharon Stone) dans Casino (1995), la prostituée irrésistible et audacieuse qui va faire fondre le gangster Sam «Ace» Rothstein (Robert De Niro). Ce dernier lui ouvrira les portes de son univers avant un déclin collectif.
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♬ original sound - Cookie Lyon
Du côté du petit écran, c’est Carmela Soprano (Edie Falco). L’influenceuse Trivieri lui rend hommage à sa manière : «Carmela Soprano a marché pour que vous puissiez courir.» Hasard du calendrier ou pas, les Sopranos célèbre ce mois-ci son vingt-cinquième anniversaire. Et les as du marketing ne sont pas à court d’idée : les acteurs de la cultissime série se sont réunis dans un restaurant de Little Italy (quartier situé à New York) qui propose… un menu Soprano jusqu’à la fin du mois.
La téléréalité n’est pas en reste. En témoigne le programme Mob Wives (2011) qui compte six saisons. On y suit le quotidien d’un groupe de conjointes exubérantes de la pègre new-yorkaise. Aujourd’hui, la dégaine «meuf de voyou» a ses nouvelles égéries à l’instar de Dua Lipa, Kendall Jenner ou encore Hailey Bieber. La tendance séduit ainsi un jeune public féminin qui s’inspire de figures d’une époque qu’elles n’ont pas forcément connue. De quoi alimenter la nostalgie pour le tape-à-l’œil des années 80 et 90 déjà véhiculée par les défilés Alaïa, Givenchy ou Saint Laurent. L’appropriation vestimentaire des nouvelles générations se démarque de la mob wife à l’ancienne – mère au foyer-nouvelle riche –, la génération Z semble plutôt revendiquer un héritage glamour et l’affirmation de soi.
Une durabilité qui laisse à désirer
Le look femme de voyou n’est pas exempt de critique. Certains y voient une forme de superficialité, de vulgarité et de vénalité revendiquée. D’autres reprochent à ces fictions ultra-violentes qui font l’apologie du crime de dépeindre de manière dégradante des femmes victimes des comportements abusifs de la part de leurs conjoints misogynes. En outre, ces dernières seraient enfermées dans le stéréotype de la femme trophée.
Entre le quiet luxury et la mob wife se joue aussi, en filigrane, une lutte des classes. Une opposition de styles radicale : l’héritière à l’apparence chic et minimaliste versus la parvenue aux mains sales. La première suinte le privilège, tandis que la seconde a dû en baver pour arriver là. Allégorie de sa réussite, sa dégaine doit faire du boucan à l’image d’une Cookie Lyon, interprétée par la magnétique Taraji P. Henson, dans la série Empire (2015). En France, la mentalité «boss lady» exubérante est assumée par la rappeuse Shay, à qui on doit le gimmick «jolie garce» qui s’inscrit pleinement dans cet univers vestimentaire associé à la success story sur fond de gouaille irrévérencieuse, d’imprimés léopards et de fourrure.
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C’est ce dernier point qui fait tiquer Vogue, qui s’interroge sur la durabilité d’une mode qui met à l’honneur les vestes en fourrure. Selon un rapport publié en juin par la branche britannique de l’ONG Humane Society International, l’empreinte écologique de la production de fourrure animale serait colossale. L’empreinte carbone de 1 kg de fourrure de vison s’avère 31 fois supérieure à celle du coton, et les fourrures de vison, de renard et de chien viverrin combinées seraient cent fois plus polluantes pour l’eau que ne l’est le coton.