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Le pec plus ultra

Les incontournables du vestiaire (5/5) : le tee-shirt blanc unit prolétaires, sex-symbols et rappeurs de tous les pays

Retour sur ces fétiches qui peuplent notre garde-robe. Cinquième et dernier épisode : le basic des basics aux mille vies et aux mille visages. Né comme sous-vêtement de la haute société, il s’est progressivement imposé comme le compagnon universel du quotidien.
(Montage Libération/Getty Images)
publié le 19 juillet 2024 à 19h31

La défaite est orpheline, tandis que la victoire a 100 pères. Une maxime qui colle à la peau du tee-shirt blanc. De nombreux pays ont beau brandir leur test de paternité, on recherche encore sa véritable terre de naissance. Il faut dire qu’il s’est imposé, le siècle dernier, comme le vêtement le plus célèbre de nos garde-robes. D’abord pudiquement planqué sous nos vêtements, il est devenu un habit incontournable, une icône de la mode et un puissant moyen d’expression.

Avant le XIXe siècle, les ancêtres du t-shirt ressemblent à de longues chemises à manches longues en forme de T exclusivement portés par les hommes. Pendant le Moyen Age, elles se portent en dessous d’un vêtement et jouent le rôle ingrat de barrière hygiénique pour la peau. Elles sont tellement longues qu’on les coince au niveau de l’entrejambe. Le port de ce type d’habit intime est alors perçu comme un signe extérieur de richesse. Avec le temps, le sous-vêtement devient plus court. En Amérique du Nord on parle de chandail, de Henley porté par les cow-boys. En France, on estime que la tunique de Saint-Louis, conservée à la cathédrale Notre-Dame à Paris, serait le premier tee-shirt de l’histoire. Les pièces de coton tricotées en Afrique ont également leur mot à dire. Grâce aux avancées techniques en termes de tissage permettent de produire des coupes plus cintrées déclinés dans plusieurs variétés de textiles (calicot, laine, maille tricotée). Les sous-chemises en laine font leur apparition, on invite les femmes à les préférer au corset et les deux sexes à les porter pour se protéger du froid et de la maladie.

Tricot de peau

Vers la fin du XIXe siècle, les marins britanniques mettent quant à eux un tee-shirt en flanelle en dessous de leur uniforme en laine. Avec le temps la Royal Navy autorise les marins à porter leur tricot de peau sans surplus quand ils bossent sur le pont. Cette exception devient une habitude pour les hommes des classes ouvrières. Peu avant la première guerre mondiale, les gars de la marine étasunienne, la US Navy intègrent le tee-shirt blanc en coton comme sous-vêtement officiel. Il est plus confortable et sèche plus vite que son homologue en flanelle. C’est là que le vêtement se rapproche de sa forme moderne. Sa silhouette en forme de T lui vaut l’appellation : t-type shirt. Des deux côtés de l’Atlantique, la fonction de ce vêtement plus ou moins planqué fait consensus. Des mineurs américains, aux ouvriers français, en passant par les militaires, tous portent le haut en forme de T sous leur vêtement de travail ou leur uniforme.

Dans les années 30, le white tee commence à être adopté par le football américain. Sa version manche longue permet d’absorber la transpiration des athlètes et de soutenir les épaulettes qui irritent la peau des joueurs. En 1936, Charlie Chaplin se charge de porter à l’écran le vêtement, qui gagne les cœurs des prolos. Dès le début du cultissime les Temps modernes, Charlot porte un tee-shirt blanc à manches courtes décati et taché par la sueur et la suie pendant qu’il s’échine à visser des boulons à la chaîne.

Il est considéré comme un vêtement à part entière à partir des années 50, grâce aux GI qui l’implante après la Seconde Guerre mondiale. Le white tee devient glamour lorsqu’il vient mouler la charpente charismatique de Marlon Brando dans Un tramway nommé désir (1951). En 1955, c’est au tour de James Dean de mettre des strass et des paillettes sur le white tee dans La fureur de vivre. La rebelle jeunesse s’en empare. Son port reste toutefois encore très genré. Mais c’était sans compter sur Brigitte Bardot. Elle est la sensation de l’été 1957, lors du tournage du film Une parisienne, un tee-shirt blanc aux manches retroussées rentré dans un jean moulant qui lui arrive aux mollets. Son look fait fureur sur la Côte d’Azur. A partir de la décennie suivante, l’habit devient ouvertement unisexe et ne se planquera plus jamais. Le trio Bardot, Jane Birkin et Steve McQueen, idoles des sixties, deviennent des adeptes. Les années soixante sont celles de la rébellion de la jeunesse. Le tee-shirt est porté dans les manifs de mai 1968, à Woodstock. Dans les années 70, Yves Saint Laurent et Dior s’en emparent. Dans les années 90, c’est autour de Chanel, Lacoste, Calvin Klein et Polo Ralph Lauren.

«Un sans-faute assuré»

Rudy, 37 ans, se souvient de son adolescence dans les années 2000. A l’époque les clips de rap tournent en boucle sur MTV et Jay-Z, 50 Cent ou Kanye West arborent tous fièrement le white tee en version XXL. Il est blanc immaculé. Le rappeur Cassidy balance en 2004 dans un morceau «I spend a 100 g’s a year on white tees» («Je dépense 100 000 dollars par an en tee-shirts blancs»). Le haut immaculé est synonyme d’ascension sociale et un signe de richesse extérieur. La légende veut que les rappeurs et les tauliers des ghettos ricains les utilisent comme des hauts jetables qu’ils ne mettent qu’une fois. «A cette époque, un white tee et une paire de Air Force one toute blanche, c’était la grande classe. Depuis, mes tee-shirts sont moins larges mais toujours aussi impeccables. J’ai un amour pour le haut clean sans marque, sans logo, c’est un sans-faute assuré», s’enthousiasme Eddy. Il poursuit : «Quand on vient des bas-fonds, c’est un effort, une lutte, de rester propre dans un environnement dégradé. Ça devient une forme de résistance par la sape.» Le white tee a également un côté festif, pour cet employé dans l’hôtellerie : «Les soirées tout en blanc, comme dans les clips, c’était vraiment chic.»

Dans les quartiers populaires sous forte pression policière ou en proie aux règlements de comptes entre ados de quartier rivaux, c’est vêtu de blanc que se font les marches «blanches». Ces manifestations en l’honneur de jeunes partis trop tôt ont eux aussi leurs codes, et généralement, les marcheurs portent un tee-shirt blanc floqué au nom du défunt. Ou barrés de slogans appelant à la justice, comme cela a été le cas dans les manifestations en hommage à Adama Traoré ou Nahel, morts aux mains de la police.