Si on avait mauvais esprit, on penserait que Victoria’s Secret a vraiment beaucoup de choses à se reprocher pour opérer un virage aussi radical dans sa communication. La marque américaine de sous-vêtements célèbre pour ses défilés annuels, à grand renfort de plumes de paon et de coiffes indiennes, mettant en lumière des «anges» au physique ovniesque et stéréotypé, caricatures de baby doll tendance avion de chasse, a vécu l’un des retours de flamme les plus sévères de l’histoire récente. Au point d’annuler son grand raout dès 2019 et de profiter de ce temps gagné pour cogiter sur l’avenir et, surtout, sur le signal à envoyer à sa clientèle, attirée par des griffes plus en phase avec l’époque, comme Savage X Fenty de Rihanna ou Skims de Kim Kardashian – pour ne citer que les nouveaux mastodontes du secteur.
Accusée par la jeune génération, et les féministes d’abord américaines, de diffuser une image affligeante de la gent féminine, plus du tout raccord avec l’ère post #MeToo, mêlée à des scandales qui ont plus que terni son image – notamment une affaire de harcèlement sexuel de la part de l’un de ses photographes attitré sur des modèles pour certaines mineures –, Victoria’s Secret se devait de frapper fort. L’an dernier, une campagne mettait ainsi en scène des femmes au physique plus normal et au destin «inspirant», mot en passe d’être galvaudé tant il est employé à tort et à travers, telles Megan Rapinoe, joueuse de football américaine et championne du monde en 2019, ouvertement lesbienne, Paloma Elsesser, mannequin grande taille, ou Valentina Sampaio, modèle transgenre – une première pour la marque fondée en 1977. Laquelle, à nouveau présente cette saison, fait mentir les déclarations de l’un des anciens directeurs de la maison qui avait assuré que les mannequins transgenres ne correspondaient pas au pur «fantasme» que la marque voulait transmettre lors ses défilés.
Body positive
Le deuxième volet de ce rebranding choc vient d’être dévoilé sur les réseaux sociaux pour vanter les mérites d’une collection confortable proposant une très large gamme de tailles. Parmi les 18 nouveaux visages et corps de cette campagne, citons d’abord Sofía Jirau, jeune Portoricaine de 24 ans, porteuse de trisomie 21, qui rêvait depuis sa tendre enfance de monter sur les podiums – ce qu’elle a fait pour la créatrice Marisa Santiago à la Fashion Week de New York en 2020. Cheffe d’entreprise depuis le lancement de sa griffe de vêtements et d’objets déco, la jeune femme est la première mannequin trisomique à signer un contrat avec Victoria’s Secret. Parmi les autres modèles, on trouve Miriam Blanco, 32 ans, atteinte d’une maladie neurodégénérative qui la contraint à marcher avec des béquilles, la pompière amérindienne de 27 ans Celilo Miles. Rappelons que Victoria’s Secret a été – à raison – accusée d’appropriation culturelle à plusieurs reprises dans le passé pour avoir habillé des tops de sous-vêtements et accessoires fortement inspirés des habits traditionnels des tribus amérindiennes.
Pour Jailyn Matthews, professeure de pilates de 47 ans et modèle de cette nouvelle campagne : «Nous avons tous une histoire de vie unique. Je pense que le partage de nos expériences inspire l’évolution et la compassion. Quelqu’un qui ne vous ressemble pas peut avoir un point de vue que vous n’aviez pas envisagé… a-t-elle écrit sur Instagram. Peut-être que si nous commençons à ouvrir des discussions sans jugement ni peur de nos différences, nous pouvons encourager la guérison pour nous-mêmes, les autres et le monde.» Victoria’s Secret frappe donc ici un grand coup, profitant de sa position dominante sur les réseaux sociaux (71,6 millions d’abonnés rien que sur Instagram) pour prôner un message d’ouverture, et se mettre – enfin – à l’heure de la diversité. On peut certes douter de la sincérité d’une telle campagne, qui colle parfaitement avec les attentes des consommateurs et tend à faire revenir dans son giron les 3,8 millions de clientes perdues entre 2017 et 2019. Mais l’exemplarité a prouvé ses effets, et la jeunesse exige désormais des marques de mode et de cosmétiques qu’elles s’engagent dans de nobles causes.
We believe women’s breasts in all shapes and sizes deserve support and comfort. Which is why our new sports bra range contains 43 styles, so everyone can find the right fit for them.
— adidas (@adidas) February 9, 2022
🔗 Explore the new adidas sports bra collection at https://t.co/fJZUEjvopQ#SupportIsEverything pic.twitter.com/CESqmsXOwI
Sur ce terrain, Victoria’s Secret s’est fait coiffer au poteau par Adidas. L’équipementier a dévoilé le 10 février dernier une campagne très commentée pour ses sous-vêtements de sport mettant en avant des sportives aux profils divers et notamment une jeune femme trisomique. La marque à trois bandes a également diffusé sur ses réseaux sociaux (hormis Instagram qui interdit toujours la publication de poitrines nues) une série de photographies de seins nus de tous acabits afin de communiquer sur la grande variété de modèles de soutien-gorge de sport désormais en vente. Différentes études ont en effet prouvé que les femmes portaient dans leur grande majorité des soutiens-gorge non adaptés à leur morphologie. La concurrence règne même sur le terrain des bons sentiments.