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Looks de rue

Mode : le style des badauds de Marseille

Qu’est-ce qui fait les spécificités vestimentaires d’une ville ? Sillonnant les rues marseillaises de la Plaine aux Terrasses du port, «Libé» est parti en quête de looks estivaux.
Willow, Kaïya, Gabin et Léonore sont «des enfants de la Plaine». (Yohanne Lamoulère/Tendance Floue pour Libération)
par Marie Ottavi et photo Yohanne Lamoulère
publié le 12 juillet 2023 à 10h11

Puisque ces dernières années, Jul et sa marque D’or et de platine (du même nom que son label) ont trusté le look des jeunes des quartiers marseillais, et que Jacquemus est devenu le créateur phare de la ville, il était de notre devoir de vérifier où en était la mode de la rue de la deuxième ville de France, désormais squattée par les Parisiens et les touristes étrangers.

Marseille, terre de soleil et de mistral, a toujours pris des libertés avec les tendances, et c’est bien pour ça que la ville a une place à part dans notre cœur. Moins bourgeoise que Lyon ou Bordeaux, plus cagole que Cannes ou Paris, bien plus drôle et grande gueule que la plupart des autres territoires de l’Hexagone – «Mon style madame ? Le bracelet électronique !» nous a lancé un minot en guise de vanne –, Marseille est le territoire des mélanges, parfois improbables, mais qu’on estime salvateurs à Libération.

Incursion dans les rues de la ville, de la plage des Catalans, repère des familles et de la jeunesse populaire, à la longue dalle de la Plaine où l’on se retrouve pour boire un verre, en passant par les allées des Terrasses du port, l’un des centres commerciaux de la cité, sorti de terre face à la mer il y a neuf ans, et particulièrement prisé des adolescents, venus parfois de loin pour y faire du shopping autant que flâner. Un pop-up D’or et de platine y a attiré des centaines de minots chaque jour au mois de juin. Ce qui prouve à quel point le succès du rappeur en claquettes chaussettes ne se dément pas.

Clara, 28 ans, rappeuse

Aux abords de la plage des Catalans, l’un des spots les plus emblématiques de la ville, en contrebas du très chic Cercle des nageurs, une équipe à vélo de la police municipale demande à trois jeunes de se rhabiller car le port du slip ne lui semble pas convenable. Ils s’exécutent sans broncher. Une tenue correcte est exigée à quelques mètres des vagues, ce qui nous fait dire que Marseille la rebelle a bien changé. Clara, 28 ans, a choisi un look monochrome à la couleur de l’été : le parme. La rappeuse dit aimer «les vêtements masculins» et n’a pas mis «de jupe depuis [s]es 8 ans». «J’aime être assortie, mon maillot est aussi de la même couleur. J’ai un style un peu américain. Comparé à Paris, le style des Marseillais est pas ouf : c’est street, mais pas assez recherché. On met beaucoup de couleurs. C’est le temps qui permet ça. Dans le centre-ville, tous les garçons sont en TN [baskets Nike, ndlr], ou avec des Asics. En ce moment, il y a beaucoup de bobs, de lunettes de ski Oakley. Jul ? C’est les touristes et les enfants qui portent ça», dit-elle en se marrant.

Willow, 16 ans, Kaïya, 17 ans, Gabin, 16 ans, et Léonore, 15 ans

Installés à l’ombre entre une aire de jeux et des terrasses écrasées par le soleil, Willow, Kaïya, Gabin et Léonore sont, disent-ils, «des enfants de la Plaine», fiers de grandir dans ce quartier historiquement populaire, aux avant-postes des luttes sociales qui ont traversé la ville. Fluides du point de vue du genre, les garçons ont des airs de filles et pas vraiment de problème à le montrer. Gabin a dessiné des étoiles entre ses yeux et sur ses pommettes, au crayon blanc assorti à son rimmel. Les cheveux bouclés et peroxydés (l’une des grosses tendances capillaires de l’année), il assure que la mode est un sujet important, et définit son style comme «Harajuku», du nom d’un des quartiers de Tokyo où la jeunesse laisse libre cours à ses excentricités. Le Marseillais puise son inspiration dans des mangas shojo, basés sur des romances un peu cucul, censés plaire aux filles et qu’il «aimai[t] trop». Léonore, elle, a le regard peint en noir, des mèches rouge et beaucoup de colliers argentés autour du cou. Elle a changé de look pendant le confinement, car elle avait du temps devant elle pour se maquiller, se coiffer et faire des recherches sur Internet.

La bande dit écouter de tout : de la tech au metal, «et aussi des musiques mimi», mais pas de rap. Se sentent-ils jugés au lycée, où le survêt comme ailleurs est souvent de mise ? «Il y a beaucoup de styles mélangés au lycée. Personne ne s’en soucie vraiment, c’est sympa, mais ce n’est pas le cas dans d’autres lycées ou c’est plus compliqué, car moins mixte», précise Kaïya.

Kheira, 16 ans, et Hayat, 17 ans

Les deux cousines ont pris l’habitude de descendre de Frais-Vallon, leur quartier du 13e arrondissement, pour faire du lèche-vitrine au centre commercial, comme leurs aînées le faisaient dans les rues du centre-ville dans le passé avant que ces paquebots ne poussent à proximité de la mer. Lycéennes, elles sont déjà quasiment en vacances quand on les croise dans les allées des Terrasses du port. Musulmanes et voilées, elles attachent une grande importance à leur allure. «On vient tout le temps, mais on n’achète pas toujours», précisent-elles. «Parfois on va à la plage», mais pas par un temps breton comme celui du jour.

Elles ont une préférence Zara, Bershka et parfois Shein, le géant de l’ultra fast fashion, qui cible particulièrement les jeunes filles de moins de 20 ans comme elles. Très apprêtées, elles prennent grand soin de leur maquillage : fond de teint, contouring, faux cils et rouge à lèvres. «On lit pas du tout de magazine de mode, mais on regarde des profils sur Instagram. J’aime bien la rappeuse Shay, dit Hayat et tout ce qui est flashy dans la mode.» Plutôt que des couleurs qui claquent, elles ont choisi ce jour-là de porter des teintes claires, pull et pantalon en laine beige pour Hayat, chemise blanche et pantalon d’inspiration bandana pour Kheira.

Romain, 20 ans

Deux pages sur le style des Marseillais sans un maillot de l’OM ? Impossible. Ici le bleu et blanc est roi, la marque à trois bandes, longtemps sponsor historique de l’équipe, remplacée aujourd’hui par Puma, aussi. Marseille regorge d’amateurs de foot prêts à mouiller le maillot sous le cagnard. Romain faisait la queue avec «[s]on collègue», un ami donc, et sa mère, devant la boutique de Jul lorsqu’on lui a proposé d’immortaliser son look. Si vous vous demandez s’il existe un style marseillais, la réponse est dans l’allure de Romain, qui termine une formation d’agent de sécurité : il porte des TN aux pieds (comme à peu près les trois quarts des jeunes garçons de la ville, on exagère à peine), un maillot et un bermuda de l’Olympique de Marseille, une sacoche Chabrand, des lunettes teintées Quechua, et un bob The North Face sur des boucles brunes, qu’il laisse en liberté depuis huit ans. Est-ce que la mode est une chose importante ? «C’est pas ce que je regarde forcément chez les filles, mais faut qu’elles soient fraîches quand même.» Le jeune homme admet que «chez les jeunes», le style de Jul a eu «un impact énorme».

Sarah, 27 ans, et Kenza, 15 ans

Le temps est à l’orage. Avant que la foule du centre commercial ne se mette à l’abri, Sarah, esthéticienne venue d’Endoume, et Kenza, encore lycéenne, s’amusent à jouer les mannequins à notre demande. La chaleur les a fait opter pour des looks estivaux et pratiques : mini-shorts, top sans manches, plus ou moins cropés, claquettes et sac avec chaîne métallisée. Est-ce qu’il y a des spécificités dans le look des Marseillaises ? «On est beaucoup plus décontractés qu’ailleurs, assure Sarah. La mode, elles la suivent avant tout sur les réseaux sociaux, de TikTok à Instagram. Sarah aime Jacquemus, Sandro, Maje ; Kenza cite elle aussi Zara et Bershka. Le centre commercial est leur endroit préféré pour faire du shopping. Il y fait moins chaud qu’ailleurs et la vue, magnifique, permet de rêvasser entre deux courses. Elles disent se sentir Marseillaises aussi pour cette décontraction du look généralisée.

Bilel, 15 ans, et Ali, 18 ans

Devant le PMU d’une petite rue du centre, Bilel, Ali et toute une bande d’amis d’enfance attendent que les grosses chaleurs passent, planqués à l’ombre. On est à deux pas de la Plaine et ça parle fin du championnat de foot, transferts de joueurs et plans sur la comète, autour de cafés serrés. La plupart des membres du groupe portent des Nike requin (les fameuses TN). Ali a des lunettes de soleil Afflelou très inspirées des masques Oakley façon Kylian Mbappé ou Stony Stone, rappeur de la scène marseillaise, et une banane portée sur la poitrine. «On se retrouve tous les après-midi ici», explique Bilel. Le programme des jours à venir ? «En ce moment, rien», répond-il en se marrant. «Le look ? Bien sûr, c’est important. Le nôtre, je dirais qu’il est “street”», témoigne Ali, qui admet «mettre de l’argent dedans». Ça donne une casquette Redfills, des sapes «classiques basiques» GertrudeGaston, C.P. Company et du Stone Island ou du Hugo Boss et même des survêtements BMW. Oui, vous avez bien lu, le constructeur allemand d’automobiles s’est offert une collaboration fashion avec Puma…

Chahineze, 24 ans

Basée à Lyon, Chahineze descend très régulièrement à Marseille. «Magasinier chez But», elle prend grand soin de son allure androgyne, de ses tatouages et de ses cheveux ultracourts. «La mode, c’est un sujet, une façon de s’exprimer», souligne-t-elle. On s’étonne de la voir patienter dans la file d’attente devant la boutique d’Or et de platine : «A la base Jul, ce n’est pas ce que j’écoute, mais c’est quelqu’un d’iconique quand on voit d’où il est parti à et où il est arrivé. J’ai vu qu’il y avait un pop-up sur Tik Tok, mais je ne compte pas forcément acheter, je visite.» Aujourd’hui, elle ne porte que du noir, mais demain, elle sera peut-être «à fond de rose, en vert ou bleu. Des fois, j’ai des remarques désagréables, mais en général, c’est positif».