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Droit du travail

Mode : une filiale de la marque Valentino placée sous administration judiciaire pour avoir fermé les yeux sur l’exploitation de travailleurs

Valentino Bags Lab, qui fabrique des sacs pour la maison de couture italienne, est épinglé par la justice milanaise : des ouvriers de sous-traitants, des entrepreneurs chinois, étaient notamment contraints de dormir sur leur lieu de travail.
Un sac Valentino à Sydney le 16 mai 2025. (Hanna Lassen/Getty Images)
publié le 16 mai 2025 à 19h31

Un tribunal italien a placé l’un des fabricants de la marque de mode Valentino sous administration judiciaire pendant un an après avoir découvert des abus concernant les travailleurs de sa chaîne d’approvisionnement. Cette affaire fait suite à une série de révélations qui ont entaché l’image des marques de luxe italiennes et françaises. Valentino Bags Lab est en effet la quatrième entreprise du secteur de la mode, depuis 2023, à être visée par le même tribunal de Milan pour des problèmes de travail similaires : une unité italienne travaillant pour Dior (LVMH), et Armani et la société italienne de sacs à main Alviero Martini ont également été placées sous administration judiciaire.

Le tribunal doit nommer un administrateur externe chargé de vérifier que l’entreprise satisfait à toutes les exigences des juges, à savoir la mise en place d’outils efficaces pour contrôler sa chaîne d’approvisionnement. Valentino a déclaré dans un communiqué qu’elle coopérerait avec les autorités pour mieux comprendre ce qui a motivé ces mesures.

L’entreprise a indiqué qu’elle avait intensifié les contrôles de ses fournisseurs au cours des dernières années. Les contrôles comprennent des «audits menés par des tiers certifiés couvrant l’ensemble du processus de production». Ils ont conduit la société à se débarrasser des producteurs qui ne répondaient pas à ses normes.

Les mesures seront levées plus tôt si l’unité met ses pratiques en conformité avec les exigences légales, comme cela a été le cas pour les trois entreprises précédemment visées par le tribunal.

Valentino est détenu majoritairement par le fonds d’investissement qatari Mayhoola. Le groupe de mode français Kering a acquis une participation de 30 % dans la marque italienne en 2023, avec une option d’achat de la totalité du capital en 2028.

Dans leur décision, les juges de Milan écrivent que, bien que les cas précédents aient été largement diffusés, «Valentino Bags Lab a continué d’opérer avec des fournisseurs qui exploitent les travailleurs et utilisent de la main-d’œuvre en violation des règles de sécurité, sans aucunement renforcer ses systèmes de contrôle».

Les procureurs chargés de l’affaire ont indiqué que la violation des règles parmi les entreprises de mode italiennes était «une méthode de fabrication généralisée et consolidée». L’Italie abrite des milliers de petits fabricants qui représentent 50 à 55 % de la production mondiale de produits de luxe, selon les calculs de la société de conseil Bain. «Après Armani et Dior, voici maintenant Valentino… ces choses ternissent le prestige du ‘Made in Italy’», a déclaré Flavio Sciuccati, associé principal de la société The European House - Ambrosetti Group. Ces dernières années, des enquêtes menées par des magistrats italiens ont mis en évidence l’exploitation généralisée des travailleurs dans la chaîne d’approvisionnement du secteur de la mode et du luxe.

«Des cycles de production continus de jour comme de nuit»

Dans l’affaire contre Valentino Bags Lab, les agents de police de l’unité de protection du travail de Milan a inspecté sept ateliers appartenant à des Chinois autour de la capitale financière entre mars et décembre 2024, y compris l’une des entreprises impliquées dans l’affaire Dior l’année dernière. Ils ont identifié 67 travailleurs, dont 9 n’avaient pas de contrat de travail. Trois d’entre eux étaient des immigrés en situation irrégulière. Les travailleurs étaient contraints de dormir sur le lieu de travail afin de disposer d’une «main-d’œuvre disponible 24 heures sur 24», selon l’arrêt de la Cour.

La consommation d’électricité cartographiée par les enquêteurs a montré «des cycles de production continus de jour comme de nuit, y compris pendant les vacances». En outre, des dispositifs de sécurité avaient été retirés des machines pour leur permettre de fonctionner plus rapidement.

L’un des sous-traitants chinois, Bags Milano Srl, travaillait exclusivement pour Valentino Bags Lab depuis 2018, produisant environ 4 000 sacs par mois pour un prix compris entre 35 et 75 euros (39-84 dollars) chacun. Ces mêmes sacs se vendent au détail entre 1 900 et 2 200 euros, selon deux sources judiciaires.

Les juges ont déclaré que le propriétaire de Bags Milano avait sous-traité la production de certains des sacs Valentino à d’autres ateliers appartenant à des Chinois.

Selon le jugement, le propriétaire a déclaré que Valentino Bags Lab n’avait pas formellement autorisé cette sous-traitance, mais qu’il en était conscient et qu’il avait «fermé les yeux» en raison de la quantité de travail à effectuer.

Les propriétaires des entreprises contractantes et sous-traitantes font l’objet d’une enquête des procureurs de Milan pour avoir exploité des travailleurs et employé des personnes au noir. Valentino Bags Lab lui-même ne fait l’objet d’aucune enquête criminelle. Le tribunal de Milan a proposé, en juin 2024, un régime en vertu duquel les entreprises de luxe devraient renforcer les contrôles sur les fournisseurs pour s’assurer qu’ils respectent le droit du travail.