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Libération
Disparition

Mort de Marc Bohan, discret mais décisif directeur artistique de Dior

Le couturier qui a officié avenue Montaigne pendant vingt-huit ans a marqué la mode française par son raffinement et sa précision.
Marc Bohan posant dans son bureau de la maison de couture Christian Dior dans les années 60. (AFP)
publié le 8 septembre 2023 à 19h28

C’est une archive INA, l’extrait d’un reportage sur les coulisses des collections femme du printemps-été 1970. On y voit Marc Bohan, le directeur artistique de Dior cravaté et en blouse blanche, commenter une silhouette (un manteau en tweed rose accompagné d’un foulard et d’un grand chapeau blancs). Voix posée, regard concentré, il décrypte la femme que propose cette collection-là : «Elle a des jupes plus longues… par ce fait, elle devient plus féminine, plus souple – si on fait des jupes longues, alors il faut qu’elles soient très souples… Elles s’arrêtent à mi-mollet. Et les tailles sont marquées, sinon on fait des robes sacs. Dans l’ensemble, c’est une chose très simple, très naïve et très décontractée. […] Il y a des robes du soir montantes, des coiffures très simples avec une tresse en couronne, le maquillage est pâle avec les lèvres assez marquées. Tout cela fait que cette femme est beaucoup plus féminine, plus du tout le style petite fille qu’on a eu ces dernières années.»

La féminité, le raffinement, oui mais sans contrainte, a été l’axe de travail de Marc Bohan, dont le décès à domicile intervenu mercredi a été rendu public ce vendredi 8 septembre. Il avait 97 ans et avait peu au prou cessé d’œuvrer dans la mode après son éviction de Dior en 1989, mais son nom a forcément des résonances pour l’aficionado de mode. Parce que rarement un directeur artistique aura «tenu» si longtemps à la tête d’une maison non fondée par lui-même (Karl Lagerfeld fait partie du club avec 36 ans chez Chanel), mais aussi pour le talent qu’il a su déployer pour accompagner l’évolution stylistique de presque trois décennies. Ce discret notoirement d’humeur égale s’inscrivait dans le sillage du fondateur Christian Dior, prônait «une notion intemporelle de la beauté» mais en y apportant sa patte, ses options, sa conception.

Des coupes très précises

Jamais fofolles sans être ternes, ses créations ont notamment séduit une clientèle abonnée à la représentation : la princesse Grace de Monaco, sa fille la princesse Caroline, la reine Silvia de Suède, Claude Pompidou, Danielle Mitterrand, mais aussi des artistes, Sophia Loren, Elizabeth Taylor, Maria Callas, Barbra Streisand, Bianca Jagger… Au menu : des coupes très précises (de très beaux manteaux notamment), une silhouette souple, jamais entravée y compris le soir, des blouses et robes à nœuds et /ou volants, des repères clairs comme les épaules et la taille.

le 22 août 1926, à Paris, le goût du vêtement lui est venu de sa mère modiste. Son père banquier l’aurait plutôt vu dans sa partie, il commence d’ailleurs des études de finances après le bac passé au lycée Lakanal de Sceaux (Hauts-de-Seine). Mais il bifurque vers sa passion et, après avoir suivi des cours de dessin de mode, il débute en 1946 chez Robert Piguet et poursuit sa formation chez le couturier britannique Edward Molyneux, installé à Paris, où il reste jusqu’en 1951. Il tente ensuite de créer sa propre affaire mais faute de financement, sa maison ne survit pas plus d’une saison. Jean Patou lui offre ensuite la responsabilité de ses collections haute couture.

Il entre chez Christian Dior en 1957, chargé de la création des collections à Londres. Quand Yves Saint Laurent, qui a repris la direction artistique de la maison après la mort du fondateur Christian Dior, est appelé à faire son service militaire, la famille Boussac alors propriétaire de la maison le nomme comme remplaçant. Il conservera le poste malgré le retour rapide d’Yves Saint Laurent à la vie civile – au bout de six semaines sous les drapeaux, celui-ci a fait une dépression nerveuse et a été hospitalisé. Saint Laurent et Pierre Bergé signeront un accord avec la maison Christian Dior et créeront dans la foulée leur propre maison.

Lignes de prêt à porter et costumes de scènes

Sa première collection Dior, «Slim Look», pour le printemps-été 1961, célèbre une femme vêtue sans entraves, les jupes se raccourcissent, le tailleur devient dominant. Elle remporte un grand succès. Elizabeth Taylor commande 12 robes. Autre collection majeure : celle, haute couture, de l’automne-hiver 1966, inspirée du film le Docteur Jivago, avec ses vestes en tweed, ses longs manteaux à col de fourrure et ses bottes hautes.

Mais Marc Bohan veut s’adresser à une clientèle plus vaste : sous sa direction artistique sont lancées les lignes de prêt-à-porter féminin «Miss Dior», enfant «Baby Dior» et masculin «Dior Monsieur». Sa propre fille, Marie-Anne, a été le premier mannequin pour les vêtements Dior pour enfants. Passionné d’opéra et de théâtre, il a aussi créé de nombreux costumes de scène, collaborant notamment avec Françoise Sagan et Luchino Visconti.

En 1989, Marc Bohan, qui s’est vu décerner en 1983 et 1988 deux Dés d’or, équivalents des Césars pour la haute couture, est remplacé par l’Italien Gianfranco Ferré à la tête de la création de Dior. L’année suivante, il devient directeur artistique de la maison londonienne Norman Hartnell, poste qu’il occupera jusqu’en 1992. À cette occasion, il habillera plusieurs membres de la famille royale. Mais son apport à Dior n’a jamais été nié : en 2009, le musée Christian Dior à Granville lui avait consacré une exposition, et en 2018, le journaliste de mode Jérôme Hanover avait opéré une plongée dans son univers avec Dior par Marc Bohan publié aux éditions Assouline.