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Gastronomie

Panettone serti de diamants, eau de nuage, whisky aux enchères… Que proposerait à la carte le restaurant le plus cher du monde ?

A regarder les mets qui ont atteint des tarifs stratosphériques en 2023, du fromage à la pata negra en passant par la truffe, «Libération» a imaginé un dîner chez «Coma», resto de tous les excès.
«Et bonne continuation de digestion et d’appétit !» (Jacobs/Getty Images)
publié le 30 décembre 2023 à 16h00

En 2023, malgré la guerre et l’inflation, les producteurs des mets les plus chers du monde, et ceux qui peuvent se les payer, n’ont pas reculé devant l’indécence. Parmi les ventes aux enchères les plus extravagantes de l’année, on relève celle du 27 août : une meule de 2,2 kilos de bleu espagnol Cabrales a été vendue en Espagne pour la modique somme de 30 000 euros. Le 12 novembre à Hongkong, une truffe d’1 kilo a été adjugée 130 000 euros. Le 18 novembre à Londres, une bouteille de 75 cl de whisky, datant de 1926, s’est vendue 2,5 millions d’euros. Enfin, à Noël, sans passer par des enchères, un milliardaire indien s’est offert le panettone le plus onéreux du monde : 700 000 euros. A quoi ressemblerait un dîner dans un restaurant imaginaire où l’on servirait tous ces plats, à tout hasard, le soir du 31 ? Libé en a rêvé ; Libé l’a écrit.

Esprit aventurier et amateur d’expériences rupturistes

«Bonsoir, bienvenue chez Coma. Pour cette soirée exceptionnelle, le chef vous propose deux voyages, au choix : la Traversée, en seize escales, ou le Grand Tour en vingt-deux escales, avec possibilité de vous arrêter sur l’Ile aux fromages odoriférants ou dans l’Oasis des sirènes truffées. Je vous invite à découvrir l’étendue de cette odyssée dans notre carte en bambou d’ébène biodynamique et reviens dans quelques instants recueillir vos désirs. Mais avant de commencer, monsieur, madame, avez-vous des allergies ou des restrictions alimentaires ? Pas de chocolat To’ak équatorien en 36 étapes qui emploie quatorze agriculteurs à partir des fèves de cacao les plus rares du monde à 5 500 euros le kilo pour monsieur ? C’est noté. Je suis certain que notre équipage en cuisine trouvera une alternative à la hauteur de votre esprit aventurier et amateur d’expériences rupturistes. A tout de suite.

«Pardon. Je vous prie de m’excuser à l’avance de vous importuner par mes questions indélicates, mais aimeriez-vous vous désaltérer pour commencer ? Je peux vous proposer cette eau de nuage puisée à plus de 300 mètres de la surface au large des côtes bretonnes ou encore l’eau d’icebergs issue de la fonte des glaciers de l’océan Atlantique Nord ? Oui, le réchauffement climatique a du bon, comme vous dites ! Monsieur a de l’humour... Vous préférez l’eau de Cristallo Tributo a Modigliani, dont chaque gorgée vaut 4 200 euros ? Bien sûr. Pour la suite, notre sommelier Grégoire pourra vous aiguiller dans notre atlas des vins qui fait 145 pages, à moins que vous n’optiez pour l’accord parfait : comme tous les ans, la Romanée Conti Grand Cru a été adjugée autour de 20 000 euros (17 210 euros en réalité). Enfin un prix stable en cette période inflationniste ! Si vous le souhaitez, le chef viendra vous saluer entre l’Ile aux tentations diffuses et le Dessert salé wagyu-fugu mi-cuit mi-mou. Et bonne continuation d’appétit. »

Harmonie avec la nature

«Alors, madame, monsieur. Vous avez fait votre choix ? On part sur deux menus Grand Tour spécial fromage sirènes odoriférantes et truffées ? Parfait. Nous connaissons d’excellents réanimateurs cardiaques qui pourront vous prendre en charge dès la sortie du restaurant. Pour débuter votre voyage, nous vous proposons de la pata negra Albarragena à 2 500 euros le jambon (il n’y en a que cent exemplaires dans le monde cette année), le tout en petites assiettes à partager, mais sans assiette, à déguster avec les doigts. Sans serviette non plus. Nous retirerons également les chaises afin que vous viviez cette expérience ludique et régressive jusqu’au bout. Cette recette a été imaginée par le chef comme un retour aux pulsions primitives de l’humanité, quand les hommes s’accroupissaient près du feu pour manger la viande à même l’os en harmonie avec la nature. Et bonne continuation de repas.»

«Tout se passe bien ? On passe maintenant à l’enfilage de perles de la mer, avec le caviar Almas à 22 626 dollars le kilo, soit 37 euros la petite cuillère en nacre. Chacun de ces œufs aurait pu devenir un béluga iranien de la mer Caspienne, c’est émouvant d’y penser quand on l’a en bouche. Le chef nous fait savoir qu’il ne peut venir vous présenter la suite de son voyage culinaire – qu’il appelle «Vers l’onirisme et au-delà» – car il doit se rendre en jet privé à l’enregistrement d’une émission de télévision dubaïote en direct. Néanmoins je me permets de vous annoncer ce qui arrive : le carpaccio de thon rouge légèrement menacé à 6 000 euros le kilo, soit 260 euros la bouchée. Cet amuse-bouche très canaille s’accompagne d’une miette de truffe blanche d’Alba remportée aux enchères à Hongkong pour la somme coquette (comme vous madame) de 130 000 euros. Monsieur saura faire le calcul, haha. Allez. Luxe, calme et tranquillité comme dit le poète, et bonne continuation de digestion et d’appétit.»

Un métier-passion, un métier-frisson

«Voilà, nous avons déjà terminé une partie de notre Grande Exploration de l’univers onirique et flatteur du palais enchanteur des plaisirs affûtés et des papilles enflammées, comme on dit chez nous dans notre établissement où l’on doit se sentir comme à la maison ou presque ! Il est maintenant l’heure du fromage, et oui, déjà. C’est que ça passe vite quand on n’a rien à se dire (clin d’œil appuyé). Voici un bleu espagnol Cabrales vendu aux enchères pour 30 000 euros la meule, provenant d’une exploitation familiale. Des petits artisans qui ont la passion de la terre… Oui, nous aimons encourager les producteurs qui travaillent leur terroir. Ils exercent un métier-passion, un métier-frisson !»

«Nous en arrivons maintenant à la farandole des desserts. Un pâtissier italien de très bon goût nous fait l’amitié de nous envoyer une tranchette de son panettone recouvert d’or et de diamants, vendu pour 700 000 euros. En mignardises, des verrines de tiramisu du même pâtissier à 80 000 euros pièce, parce qu’on aime la simplicité et les choses qui viennent du cœur. Pour arroser cette fin de voyage (et vous proposer un atterrissage en douceur), nous vous proposons le whisky The Macallan Adami 1926 vendu pour 2,5 millions d’euros lors d’une vente aux enchères à Londres. Il n’y a eu que 40 flacons vendus dans le monde ! Et bonne santé et bonne année et bonne suite de fin de continuation de repas d’appétit.»

«Voilà, nous arrivons. Avez-vous pensé à prendre toutes vos affaires ? N’oubliez rien surtout. STOP SMS 36049. Pardon je me suis trompé de job. Avant de nous quitter, nous vous proposons un petit café de spécialité, le Kopi Luwak, originaire de l’archipel indonésien. Ce café au goût inoubliable a d’abord été avalé par une civette asiatique ; une fois digéré, il est récolté dans ses excréments. C’est très cher, oui, mais tout augmente ma petite dame : 1 000 dollars le kilo, et bonne continuation et bonne soirée, et bonne année aussi, et cordialement et dans l’attente de votre retour, surtout celui qui sera positif sur Google ! Bisous.»