C’est une première en France. Depuis peu, des boutiques de Caen (Calvados) proposent des espaces dédiés pour accueillir en toute sécurité les mères désireuses de donner le sein. L’initiative provient du Réseau de périnatalité de Normandie – des professionnelles de la maternité et de la santé publique –, qui a profité de l’édition française de la semaine mondiale de l’allaitement maternel mi-octobre, pour annoncer cette mesure inédite.
Après avoir signé une charte d’engagement, les commerces volontaires apposeront un logo bleu «Là, pause-lait» sur leur vitrine, signalant qu’ils offrent «une chaise et un sourire» aux mères qui le souhaitent. Pour l’instant, plusieurs boutiques comme «des pharmacies ou un cabinet de diététiciennes ont montré leur intérêt», détaille auprès de Libération Elisabeth Onnée, sage-femme au sein du réseau à l’origine de l’opération. «Nous allons essayer de démarcher les galeries marchandes, les piscines, les centres socioculturels, pour que ces espaces soient partout.»
L’objectif est aussi d’inspirer d’autres communes pour faciliter «la pratique de l’allaitement», précise la professionnelle, face au risque pour certaines femmes d’être importunées dans l’espace public. Un bilan sera réalisé dans un an.
«Regard misogyne sur les femmes allaitantes»
Cette initiative pourrait paraître superflue puisqu’en France, les femmes ont le droit d’allaiter dans l’espace public, aucune loi ne l’interdisant. «Pour certaines, allaiter n’importe où ne pose aucun problème, et tant mieux, c’est ce que l’on souhaite, admet Elisabeth Onnée. Mais d’autres me confient en consultation qu’elles se font importuner. Et ça, ce n’est pas acceptable», justifie la sage-femme qui estime que la poitrine des femmes a «tellement été sexualisée que certains en oublient sa fonction nourricière».
Tribune
Toutefois, il ne faudrait pas que ce projet ait l’effet pervers de contraindre les femmes à devoir allaiter dans ces espaces dédiés, plutôt que là où bon leur semble dans la rue, tempère Elsa Labouret, porte-parole du collectif Osez le féminisme, qui voit cette initiative comme une solution «pansement». Le problème «réside dans le regard misogyne que porte la société sur les femmes allaitantes», regrette la porte-parole de l’association. «On a le devoir de donner aux femmes l’espace et la sécurité dont elles ont besoin pour allaiter. Donc cette idée, pourquoi pas, mais il s’agirait surtout de questionner l’accessibilité des lieux publics [aux jeunes mamans] dans son ensemble.» Faciliter par exemple la circulation des poussettes, créer davantage de lieux pour changer les enfants ou tirer son lait. Autre écueil auquel il faut prêter attention : culpabiliser les mères qui ne souhaiteraient ou ne pourraient pas avoir recours à l’allaitement, pour diverses raisons.
La France en retard sur l’allaitement en Europe
Le taux d’allaitement en France est l’un des moins élevés d’Europe : à la maternité, 77 % des enfants étaient allaités en 2021 – puis plus d’un tiers à 6 mois –, tandis que les pays nordiques comme la Finlande et la Norvège par exemple, culminent eux à plus de 95 %. L’OMS estime qu’il faudrait que chaque nouveau-né bénéfice «de six mois d’allaitement exclusif».
De nombreuses études expliquent que cette pratique diminue le risque de dépression postnatale des mères, celui de développer des cancers du sein et de l’ovaire ainsi que des maladies cardiovasculaires. Pour le bébé, il y a moins de consultations pour des infections ORL, des gastros, et moins de risques d’allergie.