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Le match

Plutôt tente ou mobil-home ? Chacun campe sur ses positions

Bien que les préfabriqués occupent de plus en plus de place dans les campings, la traditionnelle canadienne séduit encore nombre de campeurs qui trouvent dans son utilisation une possibilité d’escapades hors des sentiers trop balisés.
Les tentes connaissent un regain d’intérêt avec le renouveau des activités d’extérieur. (wenbin/Getty Images)
publié le 25 août 2023 à 14h16

Le mobil-home serait-il en passe de détrôner la tente ? C’est la crainte soulevée par le collectif Sauvons le vrai camping dans une pétition pour «réserver une part minimale raisonnable d’emplacements aux vrais campeurs en tentes, camping-cars, vans ou caravanes» qui a récolté plus de 30 000 signatures depuis février. Car le mobil-home, plus confortable et moins sensible aux aléas de la météo, qui a pris son envol en France dans les années 80, remplace progressivement la toile de tente, jusqu’alors synonyme de congés populaires en plein air. Un phénomène renforcé par le «glamping», camping de luxe. Car aujourd’hui, dans les campings français, les parcelles nues où l’on peut planter ses sardines et garer sa caravane, qui ont fait les grandes heures du tourisme d’après-guerre, ne représentent plus que la moitié des 863 602 emplacements, selon la Fédération nationale de l’hôtellerie de plein air (FNHPA), contre la quasi-majorité il y a trente ans. Mais la tente n’a pas dit son dernier mot, et les randonnées hors des sentiers battus lui donnent un second souffle.

Le mobil-home : «Douche et toilettes à l’intérieur»

L’allure d’une maison, l’agencement d’un appartement, la mobilité d’une caravane. Débarqué d’Angleterre dans les années 50, le mobil-home est parti à la conquête des campings français depuis une quarantaine d’années. Au terrain municipal de Bray-Dunes, niché entre la mer du Nord et la zone dunaire franco-belge des Flandres maritimes, 520 parcelles sur 575 sont occupées par ces hébergements sur roues. Une zone de passage avec une quarantaine d’emplacements nus a été conservée pour planter la tente ou installer un camping-car. Des espaces progressivement remplacés par des surfaces dédiées au mobil-home ou à l’hébergement locatif.

Depuis une vingtaine d’années, la majorité des vacanciers du camping les Dunes de Bray-Dunes sont des résidents, propriétaires de mobile homes et occupants d’une parcelle louée à partir de 2 300 euros l’année. Chantal, une institutrice belge de 60 ans, a investi 25 000 euros pour acheter le sien d’occasion. Elle nous fait visiter son 30 m², fonctionnel et propret, avec salon, salle de bains, toilettes séparées et deux chambres. Un abri de jardin, une terrasse couverte et une autre en plein air complètent le bien. «Je ne pourrais pas vivre ici tout le temps mais pour se changer les idées, c’est très bien». Du dépaysement à volonté à deux heures de chez elle. «On n’a pas les moyens d’acheter un appartement au bord de la mer pour les vieux jours. C’est la résidence secondaire des ouvriers», dit quelques allées plus loin Patrick, 73 ans, jardinier à la retraite. Lui et sa femme Nicole ont déboursé 40 000 euros pour s’offrir ce coin de tranquillité.

Comme ce village dans la ville, un tiers des campings étaient gérés par des municipalités ou des associations dans la France de 1980, rappelle le sociologue des loisirs Olivier Sirost, de l’université de Rouen. Quarante ans plus tard, c’est moins de 8 %. La parution en 1981 d’un décret reconnaissant l’habitat léger de loisirs a sédentarisé le mobil-home, stimulé son succès et le déploiement de tout d’une hôtellerie de plein air de plus en plus sophistiqué. «Le mobil-home a voulu être un objet d’émancipation par le biais des vacances des classes populaires, analyse le sociologue. Et il est devenu un cheval de Troie de l’industrie touristique et de son modèle économique.»

Car depuis les années 80, le développement du marché du mobil-home, poussé par la recherche de confort, favorise un modèle économique rentable, détenu à 92 % par des entreprises privées, souvent de grands groupes. Selon la FNHPA, 67 % des campeurs privilégient aujourd’hui la location d’un hébergement tout confort, contre 33 % qui dorment dans leur hébergement caravane, tente ou camping-car. Parmi les campeurs réguliers, 43 % sont issus de catégories sociales modestes. Les tarifs s’étirent de plus en plus : une semaine de location en mobil-home coûte de 300 à plus de 3 000 euros.

La création par le ministère du Tourisme d’une cinquième étoile en 2010 a accéléré la montée en gamme du secteur et entraîné une gentrification du camping. En 2022, selon l’Insee, les campings 5 étoiles (3 % du parc) ont enregistré 26 millions de nuitées, contre 19 millions de nuitées au total pour l’ensemble des campings non classés, 1 étoile et 2 étoiles (47 % du parc).

Au camping de la Hooghe Moote, à Ghyvelde près de Dunkerque (Nord), les tarifs se situent dans la moyenne basse. Le terrain est un 2 étoiles qui en vise 4. Autour du boulodrome, Annie, 69 ans, raconte qu’elle a acheté son premier mobil-home en 2020 avec l’indemnité de licenciement que lui a versé Carrefour. Assise au bord du terrain de pétanque, Sofia explique avoir bénéficié d’un coup de pouce de la Caisse d’allocations familiales pour louer le sien. La première fois, c’était après le confinement strict de 2020. Trois saisons plus tard, elle fait partie des habitués, avec sa mère et ses quatre enfants, âgés de 2 à 13 ans. «Ce que j’aime le plus dans le mobil-home ? Le fait d’avoir la douche et les toilettes à l’intérieur.»

Entre les mobil-homes, des poteaux ont été plantés pour installer la wi-fi et la construction d’une piscine est prévue pour l’été prochain. «La piscine représentera plusieurs centaines de milliers d’euros d’investissement que je ne vais pas rentabiliser qu’avec des nuitées en tente à 15 euros. Il faudra bien développer le locatif», admet Maryline Maes, qui gère vingt-deux campings dans les Hauts-de-France avec son frère Jean-François. Leurs établissements sont spécialisés dans le mobil-home, avec un modèle particulier : alors que la location est plus rentable, seulement un quart de leur offre de mobil-home est destiné à la location saisonnière. Le reste de leurs emplacements accueillent des résidents à l’année. La responsable y voit tout l’enjeu du camping d’aujourd’hui : réussir à monter en gamme tout en continuant de «proposer des vacances pour tous».

La tente : «Libres de partir quand on veut»

Dès qu’ils en ont l’occasion, le week-end, Julien et son conjoint partagent un passe-temps commun : le bivouac sur les hauteurs de l’île de la Réunion. «On recherche le calme, des endroits où l’on ne croise personne, raconte ce psychologue de 37 ans, installé depuis huit ans dans ce département d’outre-mer avec son compagnon pilote de ligne. J’ai l’impression de faire une coupure nette avec mon quotidien.»

Son goût pour ces escapades qui allient longues randonnées et nuits en tente à la lueur des étoiles – mais avec matelas et coussins gonflables – est né il y a quatre ans, après une semaine au festival AfrikaBurn, petit frère du Burning Man en Afrique du Sud, d’où son conjoint est originaire. «On n’avait aucune expérience du camping, on a commencé sur le tard, mais on aime bien car on est près de la nature et ça coûte moins cher qu’un hôtel, développe le Montpelliérain d’origine. Et comme on n’a pas d’enfants, on est libres de partir quand on veut.»

Une façon aussi pour le couple de «rechercher l’autonomie». Que ce soit en tente à 2 000 mètres d’altitude, ou en hutte sur une île croate pour du glamping (la version cossue du camping). «Même si on n’est plus vraiment des “backpackers” lorsqu’on part, dormir en tente reste toujours une option», résume Julien. Des vacances en tente ? Les Français sont encore des millions à y songer, pour un week-end au grand air, un bivouac en montagne ou un séjour en bord de mer.

Chez Decathlon, leader des enseignes de sport et loisirs, on assure que les ventes de tentes, et plus largement de matériel de camping, sont en hausse constante (bien que la marque ne veuille pas communiquer de chiffres). Et plus encore depuis la pandémie. Parmi les hits mis en avant par le groupe : les tentes familiales ou de petite taille «dans l’esprit micro-aventure» de sa marque Quechua. Et ce en dépit d’une diminution du nombre d’emplacements vierges dans les quelque 7 000 campings hexagonaux. De là à voir disparaître l’accessoire phare du camping au profit des mobil-homes et autres cabanons insolites dans un avenir plus ou moins proche ? «La tente, ce n’est pas du tout has been, estime Nicolas Dayot, le président de la FNHPA. Elle très prisée de clientèles différentes, que ce soit des familles qui vont au camping par habitude et pour des raisons budgétaires, ou des Européens avec des moyens importants qui le font par conviction culturelle avec des équipements de très belle qualité.» Et de plaider : «Elle est complémentaire des caravanes, camping-cars, vans et habitations légères de loisir et reste indispensable au camping.»

Habitat multimillénaire des peuples nomades, puis instrument des conquêtes militaires et coloniales à partir de l’Antiquité, la tente est à l’origine de ce loisir de plein air, prisé de l’aristocratie britannique de la fin du XIXe siècle. «Dès le XVIIIe siècle, dans les comptoirs orientaux des Indes, on reconvertit du mobilier de marin, comme les voiles de navigation, en toiles de tente pour des campements de loisir à destination des explorateurs ou grands marchands», explique le sociologue Olivier Sirost. En France, les tentes baraques, qui ont fait le succès des campagnes napoléoniennes, sont elles aussi recyclées à partir de la moitié du XIXe siècle pour fournir à l’aristocratie des abris de chasse, ou prolonger ses sorties en nature. Jusqu’à figurer, avec d’autres habitats temporaires indigènes, dans l’exposition universelle de 1867. Les premiers campeurs appartiennent à l’élite. Ils sont proches d’associations, comme le Touring club de France, de promotion d’activités nouvelles de plein air, comme le cyclotourisme, le scoutisme, la randonnée, l’automobile, le canoë ou, pour les plus audacieux, l’alpinisme.

Notre série «Habitats de vacances»

Mais les tentes, qui permettent de faire durer plus longtemps les excursions, sont lourdes et ne protègent pas vraiment du chaud, du froid ou de l’humidité. «Dès 1905, un ensemble de fabricants de matériel de jardin ont réorienté leur activité vers la fabrication de tente pour cette frange très huppée de la population, souligne encore l’enseignant-chercheur, spécialiste du tourisme de plein air. Résultat, dans les années 20-30, on compte plus de 300 magasins spécialisés dans le camping à Paris et en Ile-de-France. Ce commerce s’organise et repose sur ces associations.»

A l’époque aucune réglementation n’interdit d’établir son campement où l’on veut. Il faut attendre les congés payés et leur corollaire, le développement d’un tourisme populaire de masse, pour qu’apparaisse une législation réprimant le «camping sauvage», notamment en bord de mer. Il faut dire que la France des années 70 compte 10 millions de campeurs, pas tous regardants vis-à-vis de l’installation de leur canadienne. «Dans le discours des autorités, la tente devient synonyme d’envahissement, de saleté, de manque d’hygiène. Et sur ces arguments va s’organiser l’obligation de résider sur des terrains classés», complète Olivier Sirost.

Concurrencée par la caravane, puis le mobil-home dans les années 80, l’objet connaît depuis vingt ans un regain d’intérêt avec le renouveau des loisirs outdoor (VTT, trekking, canoë). Et notamment, grâce à la tente «deux secondes», premier carton de Quechua, commercialisée en 2005 et écoulée à des millions d’exemplaires, qui mise sur l’instantanéité, la technologie et le prix très accessible de quelques dizaines d’euros.

Depuis, le matériel devient high-tech, adapté aux activités sportives de plein air tournées vers le risque, ou gagne en confort, voire se gentrifie. «D’un côté, on a des toiles ultralégères et isothermes, des choses d’une très grande ingénierie mais pas accessibles à tout le monde, et de l’autre, pour le glamping, on a par exemple des toiles en mode cocon qu’on suspend aux arbres», observe encore Olivier Sirost. «La tente reste le symbole de la liberté et sert aussi des revendications sociales, de l’aide aux migrants aux fêtes techno.»