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Billet

Pour la beauté de la poire

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Tu mitonnes !dossier
Un souvenir d’enfance nous rappelle une évidence invisible dans les sacs Uber Eats ou Deliveroo : on mange tout autant avec les yeux qu’avec la bouche.
Des bouteilles de «poire prisonnière» dans une distillerie du Bas-Rhin. (Denis Bringard/Hemis. AFP)
publié le 6 octobre 2023 à 10h42

Gamin, on était fasciné par la bouteille ventrue d’eau-de-vie de poire avec son fruit à l’intérieur. A vrai dire, le procédé n’avait plus de mystère pour nous : quand les fruits étaient tout petits sur l’arbre, le Vieux choisissait une branche assez longue pour qu’elle puisse passer par le goulot et se placer au fond de la bouteille avec la minuscule poire portée au bout de celle-ci. Puis il fixait la bouteille à l’arbre la tête à l’envers afin qu’elle soit l’abri des intempéries. Le Vieux procédait ainsi avec plusieurs bouteilles et fruits parce qu’il y avait parfois des ratés lors du mûrissement qui nous semblait interminable. Non, ce qui nous épatait le plus, c’était les reflets d’or de la poire williams dans son expression la plus pure : la gnôle. Le clou de ce spectacle était bien sûr le morceau de sucre trempé dans l’eau-de-vie (le fameux «canard») dont le parfum enflammait nos papilles autant que la beauté de la poire williams prisonnière nous remplissait les mirettes.

«Le beau, pour écrire comme Kant, est symbole du bon», affirme Valentin Husson dans l’Art des vivres, une philosophie du goût (1). On s’est régalé avec l’essai gourmand et érudit de ce philosophe, enseignant à l’université de Strasbourg. Il nous rappelle une évidence invisible dans les emballages d’Uber Eats ou de Deliveroo : «On ne mange pas qu’avec notre bouche, mais tout autant avec l’œil. […] Si la beauté nous saute aux yeux, elle nous saute aussi aux papilles.» Pour Valentin Hus