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Libération
Critique gastronomique et vin

Prix Curnonsky 2023 : Emmanuelle Jary et Marcelle Ratafia, deux personnalités atypiques récompensées

Le prix, qui récompense les critiques gastronomiques et de vin, a été attribué lundi 13 novembre à deux femmes : Emmanuelle Jary et Lola Tobelem, alias Marcelle Ratafia.
A la remise des prix Curnonsky 2023 Aux Noces de Jeannette, à Paris. Avec les trophées, Lola Tobelem alias Marcelle Ratafia et Emmanuelle Jary. (Jean-Louis Vandevivere)
publié le 14 novembre 2023 à 15h57

L’étage des Noces de Jeannette, restaurant mythique de la rue Favart, dans le IIe arrondissement de Paris, était tellement noir de monde lundi 13 novembre qu’on a craint un moment que le sol ne s’écroule sur les clients attablés au rez-de-chaussée. La raison de cette affluence : la remise du prix Curnonsky, décerné depuis 1978 aux plumes de bonne chère. Depuis 2005, le titre se dédouble et récompense un critique de vin et un autre de gastronomie. Parmi les illustres récipiendaires des éditions précédentes, les incontournables François-Régis Gaudry, Gilles Pudlowski ou Ophélie Neiman ont été dûment salués pour leur carrière. Pour l’édition 2023, ce sont deux personnalités à part qui ont reçu le précieux trophée : Emmanuelle Jary pour la gastronomie et Lola Tobelem, alias Marcelle Ratafia, pour le vin, des mains d’un jury de journalistes (Rémi Dechambre, Manuel Mariani, Claire Delbos, Jean-Claude Mariani, François Collombet, Roland Escaig et Jacques Vivet, entre autres).

Ce n’est pas la première fois que des femmes font un doublé. En 2007, les prix avaient été décernés à Patricia Alexandre et Mathilde Hulot ; Caroline Mignot et Véronique Raisin avaient été récompensées en 2009 et en 2015, Caroline Monsat et Ophélie Neiman avaient déjà reçu conjointement les honneurs de la profession. Malgré la réputation conservatrice de ce milieu, où l’on célèbre souvent le terroir et les traditions, le prix Curnonsky, du nom du célèbre critique, dit «Prince des gastronomes» (mort en 1956), a eu le chic de récompenser cette année deux femmes aux profils atypiques.

Femmes de gauche

Marcelle Ratafia (Lola Tobelem pour l’administration) écrit pour Tanins, le Figaro Vin, Time Out, le magazine Bon et diffusera bientôt des vidéos pour Urbania appelées «Bouffologie». Spécialiste de l’argot et de l’histoire de Paris, amoureuse du cinéma, elle a aussi produit un podcast sur les femmes dans le cinéma classique. Son livre Parlons vin, parlons bien (Le Robert, 2022)) est une synthèse de ses recherches sur l’argot du vin, aussi délicieux que drôle. «On sent depuis quelques années qu’il y a un frémissement vers plus de jeunesse, que les femmes ont pris leur place dans le secteur de la gastronomie et sont prises au sérieux», dit-elle le soir de la remise, en tentant de couvrir les voix surexcitées autour d’elle. Le jury, composé notamment des coprésidents de l’APCIG (Association professionnelle des chroniqueurs et informateurs de la Gastronomie et du vin) ont voulu, d’après Marcelle Ratafia, «encourager une jeune plume plutôt que de remettre un César pour l’ensemble d’une carrière».

Emmanuelle Jary, révélée au grand public avec son émission C’est meilleur quand c’est bon sur YouTube et sa revue trimestrielle du même nom, est aussi très émue : «C’est la première fois que je reçois un prix ! s’exclame-t-elle, tenant fermement son trophée. Enfin, presque. Il y a quelques mois, j’ai reçu une lettre de Guillaume Gomez, l’ancien chef de l’Elysée. Il existe maintenant un Conseil de l’ordre du rayonnement gastronomique, et j’ai eu le grade de chevalier. La cérémonie n’a pas encore lieu, mais quand même.» Son sourire, ravi, traduit sa fierté. Et tandis que la foule picore foie gras et petits fours, on sourit intérieurement que le prix Curnonsky ait récompensé cette année deux femmes qui se revendiquent ouvertement de gauche.