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Libération
Chronique «C'est reparty»

RAG : «La nuit, toutes les chattes sont grises»

Organisateurs, DJ, gérants d’établissements, noctambules, observateurs… Chaque mercredi, «Libé» donne la parole à celles et ceux qui vivent pour et par la nuit. Aujourd’hui, l’organisatrice des soirées lesbiennes Wet For Me.
«Depuis mes 17 ans, je suis toujours énormément sortie, j’ai traîné dans des clubs de toutes sortes», raconte RAG. (Otto Zinsou)
publié le 19 avril 2023 à 20h16

C’est, selon elle, un milieu «précaire», dont la crise sanitaire a été un révélateur, et si elle «arrive bien à en vivre», c’est parce qu’elle multiplie les casquettes (DJ, programmatrice de Barbi(e)turix X Virage, club en extérieur sous le périph du XVIIe arrondissement, missions événementielles à son compte, etc). Mais la nuit, c’est toute sa vie et «si ça commence à piquer» à 44 ans, Ragnhild, alias RAG, aussi maman, n’a pas encore l’intention de tirer sa révérence. «Depuis mes 17 ans, je suis toujours énormément sortie, j’ai traîné dans des clubs de toutes sortes et désormais j’amène même mon fils quand c’est en journée», assure la Franco-Suédoise, qui a été dans d’autres vies salariée de l’hôtellerie de luxe (au Lutetia, notamment) et assistante de direction au MK2 Bibliothèque. Son carburant pour tenir la longueur malgré le «manque de sommeil» ? Le sentiment de faire exister quelque chose d’important. C’est qu’avec le collectif Barbi(e)turix qui était au départ un fanzine tendance Riot grrrl, elle coorganise depuis 2012 l’une des plus imposantes soirées lesbiennes d’Europe : la Wet For Me. Un sanctuaire festif et électronique bimensuel, rare et donc essentiel pour la visibilité des meufs gouines, bies ou trans. D’ailleurs, ce week-end, on célèbre le quinzième anniversaire de cette fête dans sa «maison», la Machine du Moulin Rouge (XVIIIe arrondissement). Et RAG y sera aux manettes, forcément.

Ta définition de la nuit

«La nuit, pour moi, toutes les chattes sont grises. Dans les lieux et milieux que je fréquente, les barrières sociales tombent, même si elles peuvent aussi s’exacerber ou s’inverser. Elon Musk par exemple se serait fait recaler à l’entrée du Berghain [célèbre club berlinois, ndlr] et c’est devenu un meme. Aussi, on s’autorise plus de choses que le jour. Tu le vois dans les Wet For Me [«mouille pour moi», en français, ndlr], les filles, elles se lâchent. Elles se contiennent toute la journée parce que ce sont des femmes, des lesbiennes, des personnes non binaires ou trans, mais une fois ensemble, elles se lâchent. C’est pour ça que cette soirée est folle.»

Ta première virée

«Ça doit être au Folies Pigalle ou au Palace, qui existait encore, dans le milieu gay. Mais celle dont j’ai vraiment le souvenir c’est ma première fois au Pulp, [célèbre club lesbien des grands boulevards ouvert de 1997 à 2007, ndlr], un 25 décembre. Je devais avoir 18 ans, j’avais mon permis, je me sentais lesbienne mais je n’avais jamais été dans un club ou un bar lesbien. C’est une époque où il n’y avait pas Internet et sans les codes, tu ne savais pas où aller. C’est la grande sœur d’une copine qui nous a emmenées, j’avais un crush infini sur elle, c’était le cliché total. Je me souviens de ma mère qui me dit : “Qu’est-ce que tu as à sortir un 25 décembre ?” Alors, oui, il n’y avait pas grand monde mais ça a été la révélation. Après cette expérience, il fallait que j’y aille tous les vendredis et samedis. J’en ai même foiré mon BTS tourisme car je sortais tous les week-end. Mais ce n’est pas bien grave et c’est pour ça que ça me touche quand on reçoit des messages, ou même des critiques, de nanas qui nous disent “merci d’exister”. Je le comprends car ça m’a fait le même effet la première fois.»

Ton look

«All black, tout le temps, en bombers, jean et docs. Mais dans mon passé d’hôtelière ou au MK2, on était obligé de porter du noir, c’est peut-être pour ça. Et puis j’écoute pas mal de post-punk, ça renvoie à la scène gothique. J’y suis sensible et n’ai pas encore été rattrapée par la vague nineties pop fluo.»

Ton objet

«Mon casque de DJ, même si j’ai des airpods comme tout le monde. C’est un Sennheiser 25. Il est tout défoncé, il pue la clope, il colle car un mojito est tombé dessus, mais j’y suis hyper attachée. Ça doit faire dix ans que je l’ai. J’ai d’ailleurs un très mauvais souvenir, la nuit durant laquelle une DJ a switché nos casques lors d’une soirée à la Réunion. J’étais vénère, mais j’ai réussi à le récupérer, ce n’était qu’un malentendu.»

Ton prochain week-end

«Je serai à la Machine du Moulin Rouge, les deux soirs, pour les quinze ans de notre soirée. C’est une première que ce soit sur deux dates. Il y aura une trentaine d’artistes (Olympe4000, Sara Zinger, Claude Violante, etc), qui nous ont accompagnées pendant cette période et qui sont sur la compilation BBX #2 qu’on vient de sortir avec Chloé (DJ et productrice), mais aussi un⋅e invité⋅e surprise. Le vendredi, ce sera une scène plutôt drag, avec des kings et des queens, et le samedi, plutôt une ambiance Pigalle, avec du pole dance par exemple. Je vais mixer, bien entendu.»