«Je fais la promesse solennelle d’être moi-même, de m’aimer et de me rester fidèle chaque jour de ma vie.» Sur le site qui commercialise la Self Love Ring, c’est ainsi que cette bague est présentée : comme une alliance un peu spéciale, le symbole d’une promesse d’une vie heureuse avec soi-même. La Self Love Ring date de 2016. Sa créatrice, Melody Godfred, native de Santa Monica (près de Los Angeles), affirme que l’idée lui en est venue alors qu’elle traversait une crise existentielle. Chaque fois qu’elle est interviewée, l’histoire est toujours la même, ce qui explique peut-être pourquoi Melody Godfred refuse de répondre à Libération : nos questions ne vont pas forcément dans le sens du storytelling qu’elle souhaite imposer aux médias. «J’étais une avocate prospère, mariée et mère de famille, explique-t-elle au journal US Weekly. J’avais un mari adorable et une maison… Pourtant, malgré le fait de “tout avoir”, je n’étais pas heureuse. Je me sentais écrasée par le poids des responsabilités, parce que je ne savais pas prendre soin de moi. Quand je l’ai réalisé, j’ai pensé “Et si je portais une bague pour me rappeler chaque jour ce que je dois à moi-même ?”»
Bague pour le petit doigt
Melody Godfred s’associe alors à Samira Far puis lance sa propre marque de bijouterie – Fred and Far – sur la base d’un concept vendeur : créer des bagues pour le petit doigt, car «c’est le doigt le plus négligé de la main, mais aussi le plus fort, dit-elle. De même, les femmes ont tendance à s’effacer devant les autres, alors qu’elles sont si fortes». Les Self Love Rings présentent une autre caractéristique : elles sont ornées d’une pierre précieuse synthétique triangulaire, car «le triangle est le symbole du féminin divin», explique Godfred (sur la chaîne de TV Trojan), qui précise que les pierres sont artificielles (donc exemptes de tout «conflit» avec la Terre-mère). Il s’agit de saphirs blancs «chargés métaphysiquement pour favoriser la connexion avec votre intuition, vos talents et votre sagesse intérieure». Leur prix : de 199 à 699 dollars (soit de 186 à 656 euros) selon que l’anneau est en argent ou en or rose. La page commerciale du site mentionne que les bagues sont livrées avec une carte imprimée d’un «serment qu’il faut signer pour rendre cet engagement officiel».
Le business de la «sororité»…
Dans l’interview qu’elle accorde à US Weekly, Melody Godfred insiste sur la similitude entre la Self Love Ring et une bague de fiançailles : «Chaque matin, quand je me mets la bague au doigt, je réaffirme le vœu de m’aimer», dit-elle, ajoutant que sa compagnie est avant tout une entreprise visant à favoriser l’empouvoirement des femmes. De fait, Melody Godfred – reconvertie dans l’écriture de manuels d’auto-épanouissement et dans le coaching – propose des abonnements à une newsletter diffusant chaque jour un petit conseil pour rebooster l’amour de soi, ainsi qu’une carte de membre à la communauté des «sœurs» qui «embrassent leur moi authentique», qui «s’expriment librement» ou qui «se font passer en premier».
…et des femmes solos
Melody Godfred affirme qu’elle s’adresse à toutes les femmes, mais les consommatrices esseulées «à fort revenu disponible» – ainsi que le formule narquoisement la journaliste Florence Ortelli – sont les plus visées. Dans un essai intitulé Nos cœurs sauvages (éd. Arkhê, 2021), Florence Ortelli démystifie les stratégies marketing liées au «business des solos». Ainsi qu’elle le rappelle, il s’agit d’un marché en plein essor : les célibataires représentent le segment démographique qui connaît la plus forte croissance dans le monde et leur pouvoir d’achat en fait des cibles toutes désignées, surtout pour les produits haut de gamme. De façon révélatrice, c’est d’ailleurs un épisode de la mythique série Sex and the City, diffusé le 17 août 2003 sous le titre A Woman’s Right to Shoes, qui déclenche les opérations : dans celui-ci, l’héroïne, Carrie Bradshaw – assumant son choix de rester célibataire – annonce à ses amies, qui sont pour la plupart mères de famille, qu’elle aussi va se marier mais avec… elle-même. Les amies sont invitées à lui offrir une luxueuse paire de chaussures pour célébrer l’événement.
«Levez la main droite»
La même année, «Britney Spears hèle des paparazzis et brandit, non pas son plus beau doigt d’honneur, mais un diamant à l’annulaire droit, comme une nouvelle façon de leur dire fuck off. Car pourquoi ne pourrait-on pas s’offrir sa propre alliance quand on est célibataire ?» Ainsi que le raconte Florence Ortelli, ce geste de défi fait mouche. Il est repris par Halle Berry, Sarah Jessica Parker puis par Katie Couric, présentatrice du Today Show sur ABC qui – s’affichant sur le plateau avec un anneau Chanel à la main droite – déclare : «Beaucoup de femmes ont désormais un salaire important. Pourquoi devraient-elles attendre qu’un homme leur achète un diamant ?»
Toujours en 2003, la marque de joaillerie De Beers saute sur l’occasion et lance une campagne de publicité avec ce slogan : «Femmes du monde entier, levez la main droite», les incitant ainsi à montrer leur pouvoir ou plutôt… leurs 24 carats. «Cette année-là, les ventes de diamants hors mariage atteignent des records», écrit Florence Ortelli. Même les supermarchés s’y mettent. Confortant les femmes dans l’illusion qu’elles sont «libres et puissantes» puisqu’elles peuvent se payer leur propre diamant, la chaîne Walmart va jusqu’à vendre une bague sous le nom d’«Indépendance». Qu’en conclure ? A l’ère du capitalisme, le féminisme a vraiment bon dos.