Depuis une bonne demi-douzaine d’années, il arpente la nuit parisienne underground avec son appareil photo et ses gros sabots, du style «rangers bien épaisses». A 28 ans, Victor Maitre est l’un de ces photographes, à l’instar de Jacob Khrist ou de Cha Gonzalez, qui ont mis en image la fête libre, techno ou queer, «hors cadre» ou en club, du tournant des années 20 (pour Trax magazine, entre autres). Aujourd’hui résident des soirées Spectrum, Vertigo ou Gleetch, mais aussi boucher au Billot club (XVIIe arrondissement), le teufeur, passé par l’Ecole supérieure des arts de l’image Le 75, à Bruxelles, a renoncé à vivre de cette passion après avoir travaillé pour tout type de clubs à Lyon ou Paname, y compris des boîtes des Champs, où il se sentait «à côté de ses pompes». Mais pas à capturer l’essence des émois nocturnes de la capitale où, «contrairement à Berlin, la photographie est rarement bannie».
Ta définition de la nuit
«C’est un défouloir et un exutoire, mais aussi un lieu de rencontres impérissables. On se rend vite compte que ceux qui apprécient la fête et la musique sont peu nombreux, les autres suivent juste les copains et arrêtent de sortir au bout d’un temps. C’est d’ailleurs ce qui me plaît le plus dans la fête à Paris : ce vivier foisonnant de gens d’horizons différents, de la mode, du cinéma, de la food, avec qui on peut parler sans aucune barrière alors que le jour tout est cloisonné. La nuit, c’est aussi la liberté de mouvement, la liberté du corps et la liberté sexuelle. Et plus les gens sont eux-mêmes, moins il y a d’artifices, plus ça me plaît pour faire des images.»
Ta première virée
«Mes premières soirées hétéros au Rex [club mythique des Grands Boulevards dans le IIe arrondissement de Paris, ndlr] étaient très sages. Je considère que j’ai vraiment découvert le monde de la nuit à 19 ans via le milieu gay et queer. On m’a proposé de faire VJing pour la Cockorico et la Balcon, deux soirées queer, et je me suis retrouvé à côtoyer des drag-queens en backstage qui me taquinaient du genre : “Ben mon chéri, tu t’es perdu ?” Ça m’a très vite mis dans le bain et je n’ai plus jamais quitté ce milieu très bienveillant qui permet à des mecs hétéros, comme moi, ou des nanas, d’être plus libres de se lâcher et d’être eux-mêmes. D’ailleurs, ça m’a fait grandir et m’a appris pas mal de trucs sur la vie. Je n’ai plus voulu être spectateur, mais acteur de ces safe spaces pour en retranscrire l’atmosphère en photographie.»
Un souvenir
«Si je devais donner un souvenir assez fort, ce serait celui-ci. Je commençais à bosser pour le collectif Spectrum. Or j’habitais à l’autre bout de Paris à l’époque et le promoteur de la soirée m’a gentiment proposé de dormir chez lui. On est rentré bien crevés et on s’est endormis en se tenant la main. Je trouve ça hyperfort. Aujourd’hui, on est amis. C’est une belle allégorie de ce que doit être pour moi la nuit : un monde protecteur et bienveillant, qu’on retrouve finalement assez peu.»
Previously dans «C'est reparty»
Ton objet
«Mon appareil photo numérique ! C’est mon meilleur compagnon de teuf. Pendant trois ou quatre ans, j’ai traversé des tempêtes avec un Canon 6D, mais il ne m’a jamais lâché en soirée même s’il a vu le sol quelques fois. Maintenant, j’ai un Fuji X-pro 3. Je pourrais m’amuser tout autant à faire des photos intéressantes avec un téléphone. En revanche, avec l’argentique, c’est plus compliqué. D’autant que je cours dans tous les sens pour me mêler à la foule.»
Ton prochain week-end
«J’ai pas encore prévu de sortir. Je sors d’une période intense de boulot, donc j’essaye de lever le pied. C’est d’ailleurs un week-end très calme niveau teuf. Sinon, je passerai une tête à la soirée Exodus, du collectif Seth. C’est organisé en banlieue dans un lieu encore secret. J’ai un pote qui joue là-bas, c’est assez cool niveau son.»