C’est une frénésie qui ne les quitte pas. Deux ans et demi après le début de la pandémie, et alors que les contraintes sanitaires ont été levées dans de très nombreux pays, ils multiplient les voyages un peu partout sur la planète. Ces quatre Français, avec qui Libération a échangé, racontent l’envie de «rattraper le temps perdu», mais concèdent une certaine culpabilité face à une empreinte carbone alourdie.
Edito
Capucine, 26 ans, éducatrice spécialisée pour enfants handicapés près de Lille
«J’arrive toujours à partir, même avec à peine plus d’un smic par mois»
«Je suis partie huit fois depuis le début de l’année. Pays-Bas, Autriche, Hongrie, Rome, Milan, Dubaï, Crète, Bretagne, je suis allée un peu partout ! J’aimerais voyager de nouveau en novembre, mais je ne sais pas encore où. En vérité, je pars souvent sur un coup de tête : je cherche des bons plans tous les jours et dès que je trouve une bonne offre, je réserve et je pars. Le plus souvent, c’est sur de petites périodes. Comme pour Dubaï, je pars le vendredi et je reviens le dimanche.
«J’ai toujours aimé voyager mais depuis le Covid, je me dis que du jour au lendemain tout peut arriver. Peut-être que dans cinq ans je ne pourrai plus partir à l’autre bout du monde. Les restrictions ont surtout créé en moi une grosse frustration : j’avais réservé un voyage à Dubaï en février 2021, qui a été annulé deux jours avant que je parte car ils ont fermé les frontières !
«Je parviens toujours à gérer mon budget et à partir, même avec à peine plus d’un smic par mois. Pour financer mes voyages, je ne prends jamais sur mes économies. C’est assez facile car je n’ai pas de prêt sur le dos, donc il me reste toujours un petit peu chaque mois.
«En revanche, mon empreinte carbone, je n’y pense pas du tout. Je me dis que quand je prends ma voiture pour aller travailler tous les jours, c’est pareil. Et de toute façon je n’ai pas d’autre moyen de voyager… D’autant plus que j’adore prendre l’avion, donc c’est un plaisir pour moi.»
Un air de revanche
Yousra, 25 ans, étudiante en alternance à Paris
«Le voyage, c’est mon antidépresseur»
«Jusqu’à mes 12 ans, je ne voyageais pas, à part pour rendre visite à ma famille au Maroc. Les années d’après, c’était maximum un départ par an, et encore. Donc aujourd’hui, je rattrape un peu le temps perdu. Cette année, je suis allée à Chypre et à Rome, je pars au Maroc la semaine prochaine et à Londres en septembre.
«Après deux ans de télétravail, j’ai eu très envie de changer d’air et de casser la routine. La lassitude, la solitude, la monotonie… C’est tout ça qui m’a poussé à partir cette année. Le voyage est un peu mon antidépresseur ! Rester seule, ne pas sortir, travailler de chez moi, ça m’a beaucoup isolée. Et, une fois qu’on est isolé, il est difficile de faire le chemin inverse : moi, je l’ai fait par le voyage.
«Même quand je n’ai pas trop d’argent sur mon compte, je pars parce que c’est trop important pour moi. On peut voyager même avec un petit budget. Je suis étudiante en alternance et le soir je suis chauffeuse Uber. Avec mes salaires additionnés, j’arrive à peu près à payer les vols et le logement mais, pour être honnête, je prends surtout dans mes économies.
«Je ne suis pas très organisée donc je ne prévois pas des mois à l’avance. C’est souvent spontané. Mais je fais toujours attention : je prends les avions les moins chers, je voyage toujours en classe économique. Dans le futur, je veux continuer à voyager mais en montant en qualité. Je veux partir plus souvent, plus longtemps et plus loin. En Amérique latine, en Asie du Sud, dans les îles Fidji… n’importe ! Aujourd’hui, je trouve qu’on nous fait culpabiliser pour tout et pour rien. Ça m’énerve, les gens qui tapent sur ceux qui voyagent beaucoup, sans avoir toujours de réel argument.»
Reportage
Lauréna, 26 ans, rédactrice web à Paris
«Avant le Covid, je ne serais jamais partie à Bali toute seule»
«Depuis mars, je suis partie quasiment tous les mois : j’ai passé deux semaines à la Réunion en mars, un week-end à Bordeaux début mai, une semaine à Milan en juin, le premier week-end de juillet à Stockholm, une semaine en août à Budapest. En septembre, je pars deux semaines à Bali toute seule et normalement en novembre je vais aux Canaries. J’ai toujours aimé voyager mais je n’étais jamais autant partie : normalement, je prends toujours une ou deux semaines pendant l’été mais cette année c’est assez exceptionnel.
«Le premier confinement était vraiment horrible. Je l’ai très mal vécu et j’ai tout changé dans ma vie : j’ai changé de travail, j’ai quitté mon ex, j’ai emménagé seule et j’ai décidé de partir aux quatre coins du monde. Avant le Covid, je ne serais jamais partie à Bali toute seule. En plus, ça a été des mois de privation. J’avais prévu plein de choses : je devais partir à Edimbourg, à Malte et à Amsterdam et tout a été annulé. Donc 2022, c’est un peu ma revanche !
«Je pars même de Paris début 2023 pour aller vivre au Canada. L’idée, c’est que je vadrouille. J’aimerais devenir autoentrepreneuse pour pouvoir travailler d’où je veux et visiter plein d’endroits : en fait, je vais continuer à bouger beaucoup trop pour mon empreinte carbone, qui est déjà très élevée. C’est assez compliqué parce que je suis consciente du dérèglement climatique mais, à côté de ça, je n’ai aucun remords à partir à Bali alors que je sais que c’est désastreux. Je suis toujours tiraillée entre envie de voyager et conscience écologique.»
Interview
Yousta, 30 ans, vidéaste originaire d’Ile-de-France
«J’ai fait du voyage mon métier»
«Le voyage, c’est une passion. J’ai toujours eu comme projet de faire le tour du monde mais le Covid a été l’élément déclencheur. Je me suis dit qu’on ne savait pas ce qui pouvait arriver et c’est justement ce qui m’a mis le pied à l’étrier. Depuis la fin des restrictions, j’ai visité la Grèce, le Maroc, la Sardaigne, la Croatie, Budapest, le Portugal, Rome et Londres. Et en fin d’année, je vais à New York et au Canada.
«J’en ai même fait mon métier : j’ai ouvert ma chaîne YouTube il y a un an et j’ai dédié tous mes réseaux sociaux à ça (Instagram, Tiktok, Facebook, Snapchat) et j’ai même ouvert un blog ! C’est pendant le confinement que je me suis dit que je voulais vivre de ma passion. Je savais qu’en faisant ce que j’aimais, je pourrais travailler jusqu’à n’importe quelle heure et jusqu’à n’importe quel âge. Je lie l’utile à l’agréable.
«Pour autant, ça n’a pas toujours été facile. J’ai dû beaucoup travailler pour me permettre tout ça. J’ai mis de côté pendant des années. J’ai cumulé plusieurs jobs en même temps : chauffeur de bus, serveur, livreur, conducteur de VTC et j’ai même fait les marchés. Mais je me suis accroché parce que je savais que je faisais ça pour vivre mon rêve.
«Je suis papa depuis quelques mois et ça n’a rien changé à mes projets. Ça ne m’a pas freiné, au contraire. Je veux transmettre mon amour du voyage à mon enfant et je veux surtout lui montrer des choses qu’on n’a pas eu la chance de voir à son âge. On vit en région parisienne, et je ne veux pas qu’il voie du bitume toute sa vie. Je veux qu’il découvre la mer, la nature, la montagne… En fait, il me pousse même à encore plus partir !»