Un petit voilier s’élance au milieu du lac. C’est le soir. Quelques vacanciers prolongent leur journée. Leurs corps sont marqués par la rougeur du soleil. Vous êtes fatigué par tant de langueur. Sans cesse, votre regard est happé par ce voilier, à la ligne douce qu’il trace, d’est en ouest, sur ce paysage lacustre. On vous a proposé d’être sur ce voilier. Mais vous avez décliné, en disant, un peu pataud, que «vous n’êtes pas très bateau». Vous auriez pu occuper votre soirée à autre chose qu’à cette observation cruelle mais vous avez préféré regarder votre désir au loin, vous demandant si vous le regrettiez, ou si vous préfériez cette position-là, celle du poète. En restant à distance, vous profitez de la vue du bateau, de sa course majestueuse ; et la délicieuse mélancolie qui vous étreint a quelque chose d’incomparable avec la satisfaction immédiate qu’aurait été d’être sur le ponton, parmi les autres. Après tout, les vacances appellent «la» vacance, celle de l’esprit, qui a son droit au vagabondage.
Mais le doute vous assaille, avec son poison. Si vous étiez sur le voilier, vous mangeriez des poissons crus arrosés de citron et boiriez des boissons à bulles. Vous auriez contemplé les convives en vous demandant qui ment le mieux. Vous auriez participé à des conversations légères et sans éclat – trop dangereux de se disputer en mer. Mais comme vous n’êtes pas sur le bateau, alors vous pouvez vous cuisiner une petite salade toute simple, crue, faite avec ce que vous aure