Foule suintante, selfies pris en rafale, prix qui brûlent le porte-monnaie, monuments vite consommés et digérés, habitants aux nerfs en compote : le monde du tourisme de masse a tout de l’antichambre des enfers. Fodor’s, qui publie des guides de voyage en langue anglaise, sort une nouvelle édition de sa no list, les endroits où il ne faut surtout pas aller, avec de larges considérations écologiques pour expliquer ses choix – qui semblent, pour ce que l’on en sait, assez pertinents.
Plus de deux ans après l’apparition du Covid, qui a vaguement stoppé la circulation des êtres humains vers les meilleurs (beaux ou branchés, c’est selon) spots de la planète, le tourisme, atrophié, a repris du muscle. Selon des chiffres de l’Insee, les Français ont par exemple passé 79,7 millions de nuitées dans l’hébergement marchand en juillet. Dans les hôtels et les campings, la fréquentation de juin à août dépasse de 3 % son niveau d’avant la crise. Selon une étude publiée en 2018 dans la revue scientifique Nature climate change, les voyages représentent 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Fodor’s établit sa no list selon trois catégories principales : «les attractions naturelles qui pourraient bénéficier d’une pause pour se ressourcer», les «hotspots culturels qui sont en proie à la surpopulation et à l’épuisement des ressources» ; et des «endroits à travers le monde dramatiquement touchés par les crises de l’eau».
A lire aussi
Voilà donc Etretat (Normandie) et ses falaises de calcaire dans le viseur, la faute à un afflux de visiteurs, qui met en péril le lieu en accentuant l’érosion. «On est un petit village de 4 kilomètres, dont deux kilomètres sont pris par la végétation, le golf, et les falaises et bordures, explique André Baillard, maire de la commune, dans Paris-Normandie. Il nous reste environ deux kilomètres carrés dans lequel on peut mettre 5 000 personnes. Or, aujourd’hui on reçoit entre 7 000 et 8 000 personnes par jour. Les Etretatais ne respirent plus dans leur village, alors ils en ont tous ras-le-bol.» Même problème pour le Parc national des Calanques, à proximité de Marseille. Du début de l’été et au 21 août, l’accès à la calanque a été soumis à une réservation préalable, une expérimentation menée par le parc national pour freiner l’érosion qui grignote le site, victime de sa popularité. L’enjeu n’est pas nouveau, mais le rush des vacanciers, qui s’est emballé après le confinement de 2020, a poussé le parc à accélérer sa réflexion.
Fodor’s cite également le Lake Tahoe, en Californie, et de manière plus surprenante l’Antarctique, qui attire seulement 100 000 visiteurs par an dans des mêmes zones. Ils arrivent par navire, ce qui exacerbe le problème du carbone noir et entraîne ainsi une fonte des neiges plus rapide.
Embouteillages monstrueux
Parmi les «hotspots culturels», le guide pointe avant tout Venise. La cité lacustre, classée au patrimoine mondial depuis 1987, est sous la menace d’un déclassement par l’Unesco en raison du péril touristique. Les autorités municipales y ont dégainé une mesure inédite – qui s’ajoute à l’interdiction de tout nouveau commerce de souvenirs low-cost aux abords de la place Saint Marc et des paquebots de croisière dans la lagune : la réservation à la journée pour les visiteurs souhaitant arpenter le centre historique de la Sérénissime. En Italie, la côte amalfitaine avec ses embouteillages estivaux monstrueux est également citée. La Cornouailles, région côtière du sud-ouest de l’Angleterre figure également dans la liste, tout comme la Thaïlande ou Amsterdam, dont le nombre annuel de touristes (17 millions de personnes) équivaut à l’ensemble de la population néerlandaise. Enfin, la no list cite Maui, à Hawaï, ou les régions des lacs Powell et Mead sur le fleuve Colorado, qui font face à de fortes restrictions d’eau.