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Libération
Critique

«Fantaisie vagabonde», à la recherche de la Bretagne de Flaubert

Pages blanchesdossier
Voyage inspiré dans les pas de l’écrivain, par le journaliste Thierry Dussard, Savoyard établi de longue date en Finistère.
La plage de Saint-Malo en Bretagne. (Thomas Pollin/Getty Images)
publié le 14 juin 2021 à 16h28
(mis à jour le 16 juin 2021 à 15h17)

Il n’y a rien de plus stimulant que de mettre ses pas dans ceux de fameux devanciers qui en ont fait récit. Il est intéressant d’écrire aujourd’hui avec, en guise de viatique, de squelette et de fronton, des écrits passés. Cela rend loisible de confronter le pays perdu et le pays conquis, les sensations communes et les ruptures de ton, les presciences avérées et les notations déjà tombées tout à fait à côté.

Thierry Dussard, Savoyard établi de longue date en Finistère, a cheminé en compagnie de Gustave Flaubert et de son ami Maxime Du Camp. Le tour de la Bretagne, le «tro Breizh», est identique qui mène l’un sur les traces des autres, de Nantes à Saint-Malo, en passant par Piriac, Belle-Ile, Sainte-Marine, le Conquet, Morlaix, etc... La Fantaisie vagabonde du journaliste des années «vingt-vingt» qu’accompagne sa femme dessinatrice est une continuation de Par les champs et par les grèves, rédigé à quatre mains il y a près de deux cents ans par des promeneurs de 25 ans. Dussard se livre aussi à une méditation sur une terre d’adoption et à une déclaration d’amour prolongé pour un mariage continué. C’est encore une évocation du temps perdu à trop courir après l’actualité et un état des déambulations effectuées à différentes vitesses.

L’œil vif et le mot réussi

Contrainte à des pérégrinations intérieures par un été de Covid enfermeur, la Peugeot blanche de Dussard suit le pas des promeneurs d’un XIXe siècle au chemin de fer arrêté loin des côtes. Il se fait suiveur légèrement ricaneur de ces rentiers bravaches et routards pédestres, de ces observateurs aigus et patachons viveurs, de ces bâfreurs jolis cœurs et nageurs en eaux claires. Et, en passant, il exhume les potacheries de Flaubert ayant gardé l’esprit carabin de son père. Assistant à une saillie d’écurie, le futur romancier dit des étalons que «quand ils bandent, ils sont dans un état long». Ou s’esclaffe : «Quand est-ce qu’une femme qui voyage est la plus ennuyeuse ? Quand elle est à Nantes.» Quand elle est tannante…

Dussard, aussi, a l’œil vif et le mot réussi, le sens de l’information et de la mise en perspective, le volume culturel d’ampleur et l’empathie lucide pour ses lascars assez en foire, même si pointent des mélancolies naissantes chez le Normand qui, en ces contrées, croise les ombres de Chateaubriand qui établira son tombeau devant Saint-Malo comme celle de Stendhal qui fit le même périple avec plus de morgue.

Traficotages

Dussard donne à voir une Bretagne dont il sait le goût pour les abréviations qui claquent et les manières de jouer au moins malin pour se fiche des excellences aux suffisances dorées. Il sait qu’on y dit «Landerne» pour Landerneau, «Landi» pour Landivisiau. Il n’est pas neutre qu’il fasse de Gustave, «Gust», quand on sait ce que «gast» («putain») veut dire en breton. Sans être militant linguistique, il s’amuse des traficotages des expressions que l’on se bricole dans les environs. Quand il y a du reuz (bruit) dans le bourg, c’est que ça va faire le buzz. Et c’est «kraz» (craquante), qu’il aime manger sa complète blé noir.

Dussard écrit : «Voyager loin, c’est se perdre, et les îles ont la vertu de pouvoir partir à la dérive, en emportant leurs passagers plus aisément que tout un continent.» Voyageant dans le temps, mais cette fois, voyageant au plus près, Dussard ne se perd en rien. Il tient son cap, complice mais peu complaisant avec ses compagnons d’antan, au clair sur leurs motivations mais aussi sur les siennes. Il déroule ses thèmes et brode ses motifs. Il raconte son goût pour la rencontre et pour la précision, lui qui aime planter des arbres, acheter des livres de collection, garnir sa cave. Et regarder vivre sa compagne de voyage, qui aime dessiner sans en faire un impératif, quand il écrit pour voyager et voyage pour écrire. Même à une encablure de Keravel, sa maison du vent…

Thierry Dussard, Fantaisie vagabonde, en Bretagne avec Flaubert (Paulsen, 184 pp., 19, 9 euros)