
Reportage
La randonnée à l’aveugle, dans l’essence de la marche : «J’ai l’impression de revoir les images»
La neige crisse sous les pas. Ce bruit comme seul repère, Martine Tissier accélère. Elle piste la trace du guide à l’oreille, elle progresse dans la poudreuse, à l’aise. Martine Tissier lâche le bras et les appréhensions auxquels elle se cramponnait au début du sentier. «Je suis les pas devant. Immédiatement je me sens plus libre», dit-elle dans sa doudoune. Comme Martine, cinq malvoyants et aveugles randonnent en raquettes au col de la Couillole, au beau milieu du parc du Mercantour (Alpes-Maritimes). Tous les mardis, ces membres de l’association Valentin-Haüy troquent la canne blanche pour le bâton de marche. Ils filent jusqu’à la crête.
Des flocons sont tombés la veille. Du gel a figé la nuit. «La neige ressemble au dessus d’un chou-fleur», décrit le guide de randonnée, Yannick Trier. Cette surface dentelée, Martine Tissier ne parvient plus à la distinguer. Une maladie du nerf optique referme son champ de vision. Elle voit «dans un tube», parvenant seulement à différencier le jour de la nuit. «Quand on m’explique les paysages, j’ai l’impression de revoir les images, formule cette ancienne aide-soignante de 59 ans. J’imagine le panorama dans ma tête.» Les traces des raquettes des randonneurs croisent celles des pattes d’un lièvre. Le guide invite à toucher cette neige cristallisée. Il décrit les particules d’eau infimes et le point culminant des cimes. Des précisions essentielles, car Bertrand Biblocque, malvoyant de 64 ans, pense qu’il n’