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Libération
Terrifiant

Touriste de l’espace ? Plutôt garder les pieds sur Terre !

A une époque où un vol touristique dans l’espace a été accordé à 23 millions d’euros et où chaque apparition de Thomas Pesquet est vendue comme divine, est-il encore possible de dire que la conquête spatiale ne nous fait pas rêver ?
FILE - This undated illustration provided by Blue Origin shows the capsule that the company aims to take tourists into space. Jeff Bezos' rocket company is already calling its future clients "astronauts." One seat is up for grabs on the New Shepard rocket's debut passenger flight scheduled for July 2021; an online auction is underway. (Blue Origin via AP) (AP)
publié le 15 juin 2021 à 9h10

Vingt-huit millions de dollars (un peu plus de 23 millions d’euros) : c’est la somme mise au pot samedi par un particulier à l’évidence blindé, pour décrocher une place dans la fusée New Shepard qui décollera le 20 juillet. Il a ainsi remporté des enchères dont le prix de départ était fixé à 4,8 millions de dollars. L’objet de ces convoitises astronomiques, qui auraient attiré 7 600 personnes de 159 pays, est le premier vol habité touristique organisé par Blue Origin, société développeuse de New Shepard dont le patron est Jeff Bezos, également fondateur et PDG (jusqu’à la fin de ce mois) d’Amazon. Bezos fera d’ailleurs partie avec son frère de ce vol inaugural, signe ostensible de sa volonté de marquer des points dans la course au tourisme spatial qui l’oppose à Elon Musk (avec Space X et ses fusées Falcon) et Richard Branson (avec VirginGalactic et sa fusée SpaceShipTwo).

Apparitions vendues comme divines

Le vol, d’une durée totale d’une dizaine de minutes, devrait se dérouler comme suit : décollage à la verticale de New Shepard, dont la capsule (qui peut abriter six passagers) se séparera à environ 75 km de hauteur, pour poursuivre sa trajectoire jusqu’à dépasser les 100 km d’altitude – la frontière de l’espace. A partir de là, les brothers Bezos et le gagnant des enchères pourront flotter en apesanteur durant quelques minutes. La fusée (réutilisable) redescendra, elle, pour se poser doucement sur une piste, toujours à la verticale. La capsule reviendra pour sa part sur terre au terme d’une chute libre freinée par trois grands parachutes et des rétrofusées, l’atterrissage devant s’effectuer dans un désert de l’ouest du Texas.

Pour l’heure, on ne connaît pas l’homme qui valait 28 millions de dollars. Par la suite, le prix des billets d’avion suborbital devraient tourner autour de 250 000 dollars. Peu importe, en fait, on a cette certitude : on les aurait, qu’on ne lâcherait pas le moindre bifton pour un trip spatial. D’ailleurs, même contre rémunération, ce serait niet. L’époque voudrait qu’un Thomas Pesquet sommeille en chacun de nous, au point que la moindre de ses apparitions est vendue comme divine – pas plus tard que ce dimanche en cerise du saladier de Roland Garros. Est-ce seulement possible de dire que non, on n’envie pas une seconde le boulot d’astronaute, que la seule idée de se retrouver propulsé puis confiné en orbite est terrifiante, que Challenger reste un trauma personnel, que Gravity est un cauchemar, que la métaphore sur «s’envoyer en l’air» est affligeante et que, du coup, la conquête relancée de l’espace nous dépasse, surtout celle qui n’a pas d’objet scientifique mais juste touristique ? Voir de la Terre, le robot Perseverance avancer sur Mars, à 76 millions de kilomètres, nous suffit pour décoller.