Il y a toujours pour les auteurs populaires ce moment où tout
bascule, où d'un solide mais encore croissant succès un écrivain devient autre chose, comme une célébrité. Cette espèce de satori marchand porte un nom en Amérique, encore qu'il soit plus souvent prononcé dans le monde de la musique ou du cinéma: crossover. Un terme unificateur plus que résonnant ici, puisque le cas qui nous occupe est un écrivain noir surtout lu (au début) par des Blancs, dont le héros est un Noir souvent appelé à travailler pour le compte des Blancs dans sa communauté. Mais quand, en juin dernier, Walter Mosley a fait l'objet d'un blitz médiatique en règle (vingt-deux villes visitées aux Etats-Unis pour promouvoir son quatrième et dernier roman, Black Betty, articles fleuves dans Vanity Fair, People et pratiquement tous les sunday supplements de la nation), on ne pouvait guère être surpris, tant le succès de Mosley était annoncé et lisible dès son premier livre, Devil in a Blue Dress.
Lisible moins dans son originalité et écriture que dans la façon dont il avait été publié. Norton, maison d'édition à l'image très sérieuse, qui ne sort pratiquement jamais de romans policiers, croyait manifestement au livre et ne s'embarquait pas sans biscuits, Mosley ayant signé pour deux romans. Norton avait raison: après des années de psychopathes, Navajos ou aborigènes, le monde du polar semblait prêt pour Easy Rawlins, un personnage qui ne serait pas qu'un Noir ni qu'un détective; il y avait en outre quelque ch