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Libération

Les malheurs de Violette

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publié le 15 décembre 1994 à 23h13

Le succès de la Bâtarde, en 1964, a répandu autour de Violette Leduc un parfum sulfureux de vieille dame indigne; consécration ironique au terme d’une vie de frustrations, d’angoisses, d’espoirs inassouvis. Mais c’est précisément la valeur contre-exemplaire de cette destinée (enfance pauvre et illégitime, mère étouffante, amours marginales...) qui semble avoir attiré, dès la parution de l’Asphyxie en 1946, la bienveillance un peu condescendante des gens de lettres. Dans la Folie en tête, écrit vingt ans plus tard, elle revient sur cette période de sa vie, marquée par un persistant décalage entre ce qu’on attend d’elle et l’instinct autodestructeur qui continue de l’habiter: à la sollicitude consciencieuse de Simone de Beauvoir (qui, après lui avoir permis d’être éditée, lui fera verser une rente par l’intermédiaire de Gaston Gallimard), elle répond par une passion nécessairement platonique et désespérée: «Je me demande, je me demanderai toujours pourquoi je me blesse, pourquoi je souffre pour elle puisque je ne désire rien d’elle sauf les heures qu’elle a décidé de me donner, qu’elle me donne; (...) sauf l’affection qu’elle me montre en me serrant la main quand j’arrive, quand je pars. (...) Notre malheur, notre grand malheur, c’est celui-ci: nous voulons nous rassasier.» Jamais repue d’impossible, Violette Leduc se projette systématiquement dans des situations d’amour paranoïaque (pour le dandy homosexuel Jacques Guérin) ou d’admiration agressive (pour