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Critique

Le Journal du fou dansant. ""Cahiers. Le sentiment""

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publié le 12 janvier 1995 à 0h22

Le Journal du fou dansant

Nijinski, CAHIERS. LE SENTIMENT, version non expurgée, traduit du russe par Christian Dumais-Lvowski et Galina Pogojeva. Actes Sud, 304 pp., 140 F.

Pour douze soirs, à compter de mardi prochain, Redjep Mitrovitsa, acteur miraculeux, se laissera à nouveau traverser par les mots de Nijinski. Transubstantiera en verbe de pure et vrillante étangeté, le catapultage sans rémission des phrases courtes, agissantes, de l'éphémère Journal du «clown de Dieu» que l'éternité a mué en sa légende de plus grand danseur du temps. A ces phrases en boucles, entrecoupées de points abrupts, de déconcertants hiatus, Mitrovitsa rendra un rythme. Ainsi qu'il les a dévoilées au dernier Festival d'Avignon, immobile, bien droit, vêtu de blanc, Mitrovitsa donnera l'impression de lire les cahiers qu'il sait par coeur où Vaslav Nijinski, au crayon puis au stylo encre, d'une écriture serrée, propre, consigna ses rélexions en forme d'auto-analyse éperdue, et d'observations tantôt sans pitié tantôt dérapantes, jour après jour et nuit blanche après nuit blanche, durant le fébrile espace d'à peine deux mois, au creux de l'hiver 1918-1919 où sa raison vacilla, avant de basculer dans l'absence. Nijinski avait un peu plus de 29 ans. Il passerait l'autre moitié de sa vie ­ trente années de plus ­ d'hôpitaux en «maisons de fous»: trajectoire cassée en son exact milieu, tout comme celle du poète Hölderlin un siècle plus tôt. A cette différence près qu'Hölderlin, chez le menuisier qui l'avai