Claude-Joseph Dorat, LES SACRIFICES DE L'AMOUR, préface d'Alain
Clerval. Le Promeneur/Gallimard, 305 pp. , 130 F. Claude-Joseph Dorat n'a pas eu de chance: il n'est resté de lui que le souvenir d'un rimailleur de salon, apte à embrasser tous les genres sans en étreindre aucun, depuis la poésie héroïque jusqu'au roman libertin à la Crébillon fils... Lorsqu'il aborde ce registre en 1771, avec les Sacrifices de l'amour, c'est pourtant avec l'ambition de le renouveler; mais c'est bien cette ambition qui semble avoir le plus excité l'ironie de ses pairs comme Grimm, qui proposait de rebaptiser le livre: «les Sacrifices du bon sens de l'auteur à la pauvreté de son imagination»... Dorat a beau prôner le retour à la spontanéité, ses amoureux sont surtout des raisonneurs, qui ne se lassent pas de dispenser la bonne parole rousseauiste, et de se révolter en esprit contre d'odieuses contraintes mondaines. Il s'y ajoute une très décente revendication féministe, qui ne contrevient jamais aux règles de la bienséance et de la vertu. C'est ainsi que le Baron, témoin de la passion coupable du chevalier de Versenai pour Mme de Senanges, dissuade cette dernière de céder à sa pente: «La nature n'est nulle part si contrariante que dans ce qui regarde l'union des deux sexes; les hommes aiment mieux, avant; les femmes, après; comment voulez-vous que tout cela s'accorde?»
Ce qui fait la saveur inattendue de ces Sacrifices, c'est qu'en prétendant brouiller la carte du tendre libertine, Dorat conti