Le ciel du New Jersey éclaire à peine le bureau où Russell Banks se tient penché au bord de son fauteuil, les mains jointes sur ses cuisses de géant, comme si l'abandon et le confort pouvaient nuire au dialogue. A l'oreille, il porte une pierre qui brille dans la pénombre du même éclat que son oeil. Le romancier est là comme chez lui. Il a passé la plus grande partie de sa vie dans le nord-est des Etats-Unis où les ténèbres d'hivers interminables ont «une odeur de forêt et de feu» et marquent à jamais le caractère. D'un coup, il se lève, parcourt les étagères surchargées où se côtoient romans et disques de blues, et déniche un exemplaire de Brick, un magazine littéraire canadien. Pour sa cinquantième parution, celui-ci a demandé à quelques écrivains de Salman Rushdie à Richard Ford ce qu'ils seraient devenus s'ils n'avaient pas épousé la carrière littéraire. Banks lit sa réponse debout: «Je serais mort. Poignardé ou battu à mort ou flingué à l'âge de 19 ou 20 ans, ivre, agitant les poings sur le parking d'un bar de Lakeland en Floride. C'est vraiment aussi simple que ça.»
La question l'obsède. «Pourquoi moi? Pourquoi m'en suis-je sorti?» Quand on lui demande en 1991 de rédiger un genre de biographie officielle après la sortie de De beaux lendemains, il écrit dix pages d'une grande intensité: «Un vague frisson m'emplit en cette occasion, une superstition peut-être, qui me fait balbutier et me donne envie de mentir. J'ai du mal à croire que j'ai parcouru tout ce chemin, que