On raconte que Giotto, encore jeune et dans l'atelier de Cimabue,
peignit un jour sur le nez d'une figure faite par Cimabue une mouche si vraie que le maître se remettant au travail tenta à plusieurs reprises de la chasser de la main; il la crut vraie jusqu'au moment ou il comprit son illusion.» C'est sur cette anecdote extraite de la Vie de Giotto, de Giorgio Vasari, qu'André Chastel ouvre l'essai qu'il consacre à la mouche dans la peinture. Face aux cent mille espèces de diptères recensées, la Musca depicta, inconnue des entomologistes, est la mouche peinte, celle dont l'historien de l'art raconte ici l'histoire et les moeurs. Paru en italien en 1989, cet essai est pour la première fois proposé en version française et dans une extraordinaire édition accompagnée d'une anthologie de textes «muscariologiques», de Lucien de Samosate à Giorgio Manganelli.
C'est en Italie du Nord que l'on rencontre pour la première fois la Musca depicta. Mais elle bourdonne aussi dans les Flandres et en Allemagne. Incongrue ou attendue, on la trouve sur la coiffe immaculée d'une jeune femme aussi bien que sur une tête de mort rappelant à quelque saint la corruption des chairs en un classique memento mori. Traduit-elle la durée dans les natures mortes? Celle des après-midi d'enfance de Proust? André Chastel ne le dit pas. En revanche, il souligne, à partir de Vasari, la fonction de cette mouche du coche tantôt posée sur le cadre ou accompagnant la signature du peintre. Pour André Chastel, la Musca