Svetlana Alexievitch, ENSORCELÉS PAR LA MORT, récits traduits du
russe par Sophie Benech. Plon, 215 pp., 129 F.
Personne n'est encore allé aussi près, avec une voix aussi juste, du «mal-être» russe, de ce pressentiment, si présent dans la pensée collective, qu'il y a, comme disait le poète allemand, «une trop grande distance entre le monde et moi». Svetlana Alexievitch, une journaliste et écrivain de Minsk (Biélorussie) qui avait déjà signé l'un des plus beaux livres sur la guerre d'Afghanistan (les Cercueils de zinc, Bourgois, 1991), s'est confrontée à l'ambiance de mort suscitée par la fin de l'URSS, il y a trois ans: mort biologique d'un système épuisé, mort d'illusions plus ou moins perdues, mort définitive de Russes tentés par le suicide. Et de ces mots parfois assourdissants de violence, parfois cotonneux comme la neige tombant sur un corps pris dans la léthargie mortelle du froid, elle a tiré un ouvrage qui, une fois encore, n'est pas un simple recueil de témoignages, même si son micro est le plus attentif qui soit: plutôt la complainte de générations perdues, d'un peuple si enclin à se croire «de trop sur cette terre».
Intimidés par toute l'idéologie à pelleter pour revenir au coeur des choses, rétifs à l'idée de célébrer trop vite un nouveau système trop vite autoproclamé «démocratique», accaparés aussi par la dureté de survivre dans un pays ayant perdu d'un coup ses réseaux de protection sociale et son paternalisme étatique, les écrivains russes ont en général observé