Barbara Cassin, L'EFFET SOPHISTIQUE. Gallimard,
«NRF Essais», 694 pp., 250 F.
Le discours est un grand souverain qui, au moyen du plus petit et du plus inapparent des corps, parachève les actes les plus divins; car il a le pouvoir de mettre fin à la peur, écarter la peine, produire la joie, accroître la pitié». Il n'est pourtant pas l'instrument des dieux comme ont pu le croire quelques interprètes de ce célèbre passage du non moins célèbre Eloge d'Hélène de Gorgias, que Barbara Cassin retraduit et reproduit en entier parmi les documents de l'Effet sophistique. Non pas un instrument mais un dieu: tel est le logos pour les sophistes, qui l'ont maîtrisé à la perfection et en ont exalté l'immense pouvoir concentré dans une si infime matérialité de sons. C'est même cet amour des sophistes pour la parole qui, «à l'aube présocratique de la philosophie, séduisit et scandalisa la Grèce antique». Et qui les perdit. Car la sophistique eut un «effet» dévastateur sur la philosophie naissante, qui s'en défendit en l'expulsant d'elle-même, en en faisant son contraire, son éternelle ennemie. En cela la sophistique est un produit, un «effet» de la philosophie, et l'une et l'autre ne cessent de s'interpeller depuis que Platon a porté la première et décisive charge. Aussi, l'ambition de Barbara Cassin n'est-elle pas de «réhabiliter» les sophistes, mais d'opposer aux philosophes, tenants de la vérité, l'idée que «le meilleur, la performance, est la mesure du vrai».
La rudesse de l'affrontement