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Libération
Critique

""La découverte de l'esprit""-Homère n'y pensait pas

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publié le 30 mars 1995 à 1h42

Bruno Snell, LA DECOUVERTE DE L'ESPRIT, traduit de l'allemand par

Marianne Charrière et Pascale Escaig. L'Eclat, 480 pp., 280 F.

On dit de quelqu'un qu'il «a un regard», ou «un certain regard». Comme le «regard empreint de nostalgie lancé par Ulysse, loin de sa patrie, par-delà la mer». C'est l'âme d'Ulysse qui affleure au bord de ses yeux. Dans «la profondeur d'un regard» se reflète «la profondeur d'une âme». Mais l'âme ne se «voit» pas seulement, elle peut aussi se «montrer» dans un regard «perçant» ou «tranchant». Les deux choses sont presque opposées: la nostalgie d'Ulysse déborde de ses yeux comme par un trop-plein d'âme, tandis qu'un regard perçant se sert des yeux comme d'un instrument pour rendre visible un «état d'âme». Dans la Découverte de l'esprit, le philologue allemand Bruno Snell (1896-1987), spécialiste de la Grèce antique et hellénistique, reconstitue la «genèse de la pensée européenne chez les Grecs»: il montre comment se sont constitués ces éléments de notre langage sur «la pensée», et d'où viennent ces formules dont nous ne semblons devoir nous passer pour «penser notre pensée», c'est-à-dire nous penser nous-mêmes, comme des êtres faits de corps et d'esprit.

«Le point de départ est naturellement Homère, et la façon dont il conçoit l'homme.» La première étude de Bruno Snell porte donc sur le langage employé dans l'Iliade et l'Odyssée: on y trouve en particulier un grand nombre de termes désignant le fait de «voir». Beaucoup d'entre eux disparaîtront de la l