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Libération
Critique

Si l'Algérie m'était comptée ""Un été de cendres"", par Abdelkader Djemaï.

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publié le 27 avril 1995 à 2h42

Si l'Algérie m'était comptée

U n été en cendres», de l'Algérien Abdelkader Djemaï, pratique l'humour pour «rester en vie».

Abdelkader Djemaï, Un été de cendres. Editions Michalon, «les Temps Modernes», 112 pp., 80 F.

Sid Ahmed Benbrik est un maniaque du recensement, il compte tout. Dans le bâtiment où il travaille, il a ainsi dénombré quarante-deux couloirs recouverts de seize mille deux cent vingt-cinq carreaux; devant les grands magasins, les boulangeries, les arrêts de bus, les stations de taxis, dans les queues interminables, les stades de foot, un seul coup d'oeil et il a son chiffre. Mais il a oublié qu'à la Direction générale des statistiques où il est cadre supérieur, on maquille et on gomme les chiffres. Dans un pays en plein boom démographique comme l'Algérie, les statistiques en la matière sont explosives: pour avoir révélé que la ville compte cinq millions trois cent soixante mille trois cent soixante et onze habitants et non pas trois millions six cent quatre-vingt-cinq mille cinq cent soixante-douze, Sid Ahmed Benbrik tombe ainsi en disgrâce.

Dans le petit bureau où on l'a refoulé, il installe un lit de camp, entasse des provisions. Là, dans ce placard, refluent les chauds souvenirs de son enfance, ceux de sa défunte épouse Meriem. Le soir, à l'heure du couvre-feu, il arpente les quarante-deux couloirs du bâtiment. Dehors, la ville, secouée par les attentats, baigne dans une atmosphère de puanteur; les éboueurs sont en grève, la morgue de l'hôpital civil est en p