Après la publication de Los Desterrados (les Exilés, aujourd'hui
traduit) en 1926, Horacio Quiroga a déjà ses meilleurs livres derrière lui, et il n'est pas sans le sentir. Le numéro spécial que lui consacre la revue Babel, dans lequel ses collègues et amis de Buenos Aires lui rendent hommage, a déjà un petit goût d'enterrement de première classe. Il y aura encore trois autres livres, de moindre importance. A partir de 1917, Quiroga a publié ses ouvrages les plus célèbres (Contes d'amour, de folie et de mort, Contes de la forêt, Anaconda, etc.) aux éditions Babel de Samuel Glusman, dont le logo en forme de tour biblique, minuscule et souvent mal imprimé, fait immanquablement songer aux fourmilières qui pullulent dans la province de Misiones.
En un sens, ces Exilés ne pouvaient être logés à meilleure enseigne de l'incompréhension: on y trouve deux vieux péons qui ne parlent que brésilien, un ancien docteur en médecine suédois, un Français décati, un puisatier hollandais, un autre milanais, et un indien Guarani devenu juge de paix. Car les livres de Quiroga, celui-ci encore plus que les autres, sont indissociables de cette région, de cette section du fleuve Parana juste après l'étranglement rocheux du Téyucuaré, à quelques heures des fameuses chutes d'Iguazu, et surtout de San Ignacio Mini, l'ancienne colonie jésuite où il s'est sporadiquement frotté à la forêt tropicale et à la terre d'exil durant plus de vingt ans. En fait, mis à part le conte animalier qu'il place en tête (l