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Libération
Critique

Roth et Roth

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Aux prises avec son sosie, l'écrivain américain, espion et héros d'«Opération Shylok», se confesse sans complexes, au point de rendre le faux vrai et vrai le faux.
publié le 8 juin 1995 à 5h35

Il manque un chapitre dans Opération Shylok, celui qui a pour titre «Opération Shylok». Philip Roth s'en explique: «Ce livre est un compte rendu aussi fidèle que possible des événements que j'ai effectivement vécus entre ma cinquantième et ma soixantième année, et qui devaient me conduire, au début de l'année 1988, à recueillir des renseignements pour le compte du Mossad.» Ce serait donc à la demande expresse des services secrets israéliens que l'auteur de Portnoy aurait supprimé un chapitre et abandonné sans complexes toute ambition littéraire, pour se livrer comme un espion sur le retour à une confession, comme l'indique le sous-titre de son seizième livre.

A l'en croire, et il fait tout pour, Philip Roth avait des circonstances atténuantes. Au moment des faits, il sortait à peine d'une dépression carabinée due aux effets secondaires du perfide Halcion, somnifère provoquant chez certains patients de sérieux troubles d'identité et ce genre de passe-temps compulsif: «J'en arrivais à ne pas oublier mes manches de chemise plus de deux minutes d'affilée. Je ne pouvais m'empêcher de les relever fiévreusement avant de les dérouler aussitôt avec autant de fièvre et d'en boutonner soigneusement les poignets, pour les déboutonner immédiatement après et recommencer une fois de plus ce manège insensé comme si, justement, il avait un sens qui touchait au plus profond de mon être.»

Si un chapitre manque à l'appel, Roth, lui, y répond plutôt deux fois qu'une. Un dénommé Philip