En dépit des évocations spectaculaires ou nostalgiques qu'elle
suscite périodiquement, l'Indochine française est un objet historique mal connu. Pourtant, loin d'être un simple interlude, la petite centaine d'années durant laquelle la France domina ces régions (1858-1954) représente une rupture historique profonde et radicale, estiment Pierre Brocheux et Daniel Hémery, spécialistes de la question et auteurs de la première synthèse conséquente qui lui soit consacrée. Rupture au regard de notre histoire, mais rupture aussi pour cette nébuleuse de peuples Vietnamiens, Khmers, Lao, «Pondichériens», Chinois, peuples de la forêt précipités à marche forcée vers la «modernité», rupture enfin à l'échelle planétaire puisque s'élaborera ici une forme originale de résistance nationale, dont les acteurs (Ho Chi Minh), les principes (un communisme «tiers-mondiste» avant la lettre) et les moyens d'action (la guérilla révolutionnaire) devaient profondément marquer l'ensemble du processus de décolonisation.
Retraçant les étapes de la conquête coloniale, analysant les formes et l'évolution de la domination française, les clivages sociaux et les transformations culturelles qu'elle engendra, l'ouvrage offre d'abord un état des lieux qui pointe autant les acquis que les lacunes de l'historiographie contemporaine et balise les recherches à venir. Au-delà cependant, il s'emploie surtout à mettre au jour une idée essentielle: si la notion même d'Indochine fut une construction imposée de l'extérieu