Dans la tradition juive, on rapporte que l'univers continue
d'exister parce qu'il y a constamment sur terre un rabbin en prières. On pourrait dire la même chose de la littérature et imaginer quelques écrivains comme gardiens du possible. L'écrivain tchèque Bohumil Hrabal serait de ceux-là. Héritier d'une lignée qui va de Homère à Joyce en passant par Rabelais et Jaroslav Hasek, Hrabal est le créateur d'une oeuvre à l'origine de laquelle est le Verbe. Depuis toujours, il puise la matière de ses livres dans les interminables conversations qui se tiennent dans les tavernes de Prague. Il y passe de longues heures à écouter les discours des uns et les plaisanteries des autres, à faire de l'ironie où à se laisser gagner soudain par le sentiment d'une «bruyante solitude». C'est au Tigre d'Or qu'il s'installe le plus souvent. Il y a sa place réservée car la taverne est son bureau et surtout sa bibliothèque. Jiri Kolar disait que s'il existe des écrivains qui doivent lire deux mille livres pour en écrire un, Hrabal, quant à lui, doit écouter d'abord deux mille personnes. Plus tard, lorsque l'écrivain, devant sa vieille machine à écrire Erko, retranscrira à toute vitesse ce monologue intérieur qu'il nomme «la dictée de l'être», ces voix anonymes deviendront les voix narratives de livres qui racontent tous une épopée, celle de l'homme ordinaire.
Le beau-père était gérant «Sous l'emprise de la bière, explique Bohumil Hrabal, les gens sont capables d'inventer des situations nouvelles et in