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Critique

Ramuz persécuté. Créateur d'un naturalisme cosmique, l'auteur de «Jean-Luc persécuté» est beaucoup plus qu'un petit Suisse.Charles-Ferdinand Ramuz,«Jean-Luc persécuté», les Cahiers rouges, Grasset, 233 pp., 54 F.

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publié le 20 juillet 1995 à 6h55

A relire Jean-Luc persécuté (l'un de ses premiers romans, paru en

1908), on s'aperçoit que Ramuz vaut beaucoup mieux que sa réputation de conteur régionaliste, spécialisé dans les us et coutumes des petites gens de Suisse romande, humble précurseur de Giono, etc. L'attachement au terroir semble d'abord être né, chez ce jeune écrivain farouche et narcissique, d'un besoin de s'agréger à la communauté humaine, de retrouver, par l'écriture, une harmonie qui le dépasse et le délivre de sa manie de l'introspection. Très féru de peinture (notamment des primitifs et de Cézanne), il s'applique, dès ses débuts, à refuser tout psychologisme ou toute déformation «littéraire», pour se soumettre strictement à l'image, de sorte, comme il l'écrit dans son journal, «que l'idée naisse de la vision, comme l'étincelle du caillou». De fait, cette histoire de paysan désespéré par le départ de sa femme n'est racontée que par le biais de sensations très concrètes; elle s'inscrit dans un réseau de détails immédiats et de rites quotidiens, qui élude toute interprétation du narrateur, et nous place à l'intérieur même de la souffrance du personnage ­ tout en suggérant, à son insu, le travail d'une nécessité mystérieuse: «Il allait et venait à grands pas dans la chambre; dans le calme de la nuit, toute la maison tremblait et craquait. Longtemps ce bruit de pas dura, avec la lampe allumée, et le carré de lumière qui se marquait faiblement sur le pré; il se disait: Il faut encore que j'essaie, et regarda