Quand on demande à Nathalie Sarraute si on peut à son propos parler de littérature abstraite comme on parle de peinture abstraite, elle sursaute: «Vous voulez raccourcir ma vie?» Et on sent bien qu’elle ne plaisante qu’à moitié, qu’elle a souffert et souffre encore d’être trop souvent considérée comme un écrivain difficile. De fait, il se produit un curieux phénomène en lisant Nathalie Sarraute. Dans un premier temps, ses textes peuvent paraître d’un jansénisme décidément aride, d’une clarté par trop elliptique. Et puis, pour peu qu’on pénètre vraiment dans le texte, qu’on entre en empathie avec lui, on est porté par le rythme, et ce qui pouvait paraître dépouillé à l’excès se révèle simple, aérien, sensuel, musical: on entend une voix, des voix. Les non-personnages qui peuplent les non-décors des livres de Sarraute se parlent, se répondent, se comprennent ou non, les phrases restent suspendues, repartent. Le lecteur, entre innocence et connivence, peut profiter de l’extrême lenteur du texte sarrautien pour s’y couler, se laisser entraîner.
Ici, qui paraît cette semaine alors qu'elle vient de fêter cet été ses 95 ans (elle est née Natacha Tcherniak, le 18 juillet 1900 à Ivanovo, près de Moscou) et qu'elle n'avait plus rien publié depuis Tu ne t'aimes pas en 1989, n'échappe pas à la règle: composé de vingt courts chapitres, il révèle une nouvelle fois les obsessions anciennes de Nathalie Sarraute, ces «mouvements intérieurs» qui nous traversent au fil des jours, quand on parle