Au deuxième étage de la Maison des sciences de l’homme, dans un étroit bureau enfumé, Oswald Ducrot promène son regard ici et là, comme si les mots les «énoncés» qu’il cherche à formuler et à mettre bout à bout se promenaient dans l’air. Mais dès que ce linguiste, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études en sciences sociales depuis 1968, ouvre enfin la bouche, le flot de paroles devient brusquement intarissable. «Les deux énoncés suivants, (a) Il n’a pas lu tous les romans de Balzac, et (b) Il a lu quelques romans de Balzac, semblent apporter une information équivalente. Pourtant, la première formule est orientée vers une conclusion négative du type La personne en question connaît mal Balzac, tandis que la seconde est orientée vers une conclusion positive du type La personne en question connaît Balzac. Un psychologue incrédule a demandé à un ensemble de personnes à quel informateur il préférerait s’adresser pour obtenir un renseignement sur un épisode particulier de l’oeuvre de Balzac. Il s’est trouvé que les personnes interrogées choisirent celui qui n’a pas lu tous les romans de Balzac, c’est-à-dire ce qui me paraît, à moi au contraire, comme l’énoncé appelant à une conclusion d’ignorance. Le résultat de ce test ne m’a pas fait changer d’avis pour autant. Au contraire, il m’a renforcé dans l’idée, que j’ai déjà rapportée dans l’un de mes livres (les Echelles argumentatives, Minuit, 1980), selon laquelle on ne se méfie jamais assez des psychologues. Plus
Critique
Ecarts de langage.
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par Marc RAGON
publié le 21 septembre 1995 à 8h07
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