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Libération
Critique

Soljenitsyne, du côté de ses chouans. Les deux récits d'Alexandre Soljenitsyne ont pour héros Ego, un chouan russe, et le maréchal Joukov, héros fatigué et presque repenti de la révolution soviétique. Alexandre Soljenitsyne, EGO, suivi de SUR LE FIL, traduit du russe par Geneviève et José Johannet. Fayard, 155 pp., 89 F.

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publié le 12 octobre 1995 à 9h17

Parus au printemps dernier dans la revue moscovite Novy Mir, Ego et

Sur le fil, deux courts récits d'Alexandre Soljenitsyne aujourd'hui traduits, constituent les premières productions littéraires de l'écrivain depuis son retour en Russie en mai 1994, après vingt ans d'exil. On aurait pu s'attendre à des textes sur ce retour ou sur l'état de la Russie aujourd'hui, mais pas du tout. Les deux nouvelles reprennent des épisodes historiques précis, sans doute échappés du grand projet inachevé de la Roue rouge, comme si le prix Nobel restait à jamais hanté par le communisme bolchevique.

Ego, le premier des deux textes, retrace le destin tragique de l'un des chefs du soulèvement paysan de Tambov, en 1921, contre la «cavalerie rouge»; le second, Sur le fil, dresse le portrait du maréchal Joukov, héros soviétique de la Seconde Guerre mondiale qui entra dans Berlin à la tête de l'Armée rouge. Soljenitsyne imagine ce héros vieux et fatigué, mis sur la touche depuis longtemps, entreprenant de rédiger ses mémoires, et se laissant imposer coupes et ajouts par des commissaires politiques, tout en se demandant dans un ultime mais trop tardif sursaut de lucidité, s'il n'a pas été manipulé toute sa vie.

Il y a un lien entre les deux textes: en 1921, le «commandant rouge» Joukov participe à l'écrasement de la révolte de Tambov, dont Ego, surnom de Pavel Vassilievitch Ektov, héros éponyme du premier texte, fut un des fers de lance. Si l'on sent un rien d'indulgence de la part de Soljenitsyne pour