Lisbonne, envoyé spécial.
La baie vitrée ouvre sur un balcon, qui domine le Tage et le ballet des ferrys orange. L'appartement est petit, d'un dénuement ascétique, on y cherche en vain un livre. C'est là qu'Antonio Lobo Antunes écrit, un repaire au-dessus du port, sur les collines à l'est de la ville, dans un quartier populaire. A plusieurs reprises, le téléphone sonne: des appels de réconfort, de soutien amical. Pour la deuxième année consécutive, Antonio Lobo Antunes était donné parmi les favoris présumés du prix Nobel de littérature, décerné la veille, mais l'Irlandais Seamus Heaney a joué gagnant. L'écrivain a du mal à cacher son dépit: ce Nobel, il y croit, trop peut-être quand on connaît le caractère absolument aléatoire de tout pronostic en la matière. Au journal télévisé, le présentateur, lui aussi apparemment déçu, a constaté que le Portugal (et la langue portugaise en général, puisque le Brésil non plus n'a jamais été récompensé) n'avait toujours pas reçu la consécration de l'académie suédoise.
C'est qu'en quinze ans, Antonio Lobo Antunes est devenu l'un des emblèmes du Portugal de l'après-salazarisme. A 53 ans, il fait partie de la génération qui, avec Lidia Jorge, José Cardoso Pires et José Saramago, a renouvelé depuis vingt ans les lettres portugaises, jusque-là hantées par le fantôme de Fernando Pessoa et dominées par la figure rebelle mais en définitive traditio- naliste de Miguel Torga. C'est peut-être lui qui symbolise le mieux le va-et-vient entre le passé et