L'Insolence du coeur, dit le sous-titre de ce recueil qui traite la
sincérité avec une vigueur particulière. On associe spontanément la sincérité à une forme d'honnêteté éthique, donc d'austérité morale, donc de raideur protestante" La sincérité est une vertu réputée ennuyeuse et naïve, qui se draperait dans l'incontestable par excellence, dans une véridiction d'ordre aussi imparable que l'évidence ce dont la justification ne requiert aucune autre opération de l'esprit que son énonciation elle-même, comme disait Descartes en substance. Que peut-on objecter à l'argument de la sincérité? Il fait plier le doute comme on plie l'échine; il interdit d'exercer les règles les plus élémentaires de la pensée l'enquête, la «dispute», la recherche d'objectivité" Car la sincérité s'énonce avec la main sur le coeur, et la mettre en question, c'est injurier avant même qu'on ait pu atteindre le contenu de ce qui se sera énoncé au nom de cette sacro-sainte sincérité. Il y a quelque chose de mystique dans la parole sincère; elle imite le Verbe, «performe» sa propre vérité: quand une chose a été dite sous le sceau de la sincérité, cette chose même vient comme se surajouter à la réalité, qu'il faut alors entièrement réorganiser. Ce qui fait dire aux directrices de ce recueil, toutes deux spécialistes en lettres, que la sincérité est «un certain attachement au vrai» qui trouve presque sa définition dans une a-politesse radicale: la sincérité n'a que faire du «savoir-vivre» et des conventions,