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Libération
Critique

Et on tuera tous les tarés

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Une histoire de l’eugénisme à la française, ou comment médecins, hygiénistes et autres jardiniers d’une humanité sans défaut rivalisèrent, de l’euthanasie au gaz, pour faire croître la «pureté de la race».
publié le 30 novembre 1995 à 9h50

On a coutume d’attribuer au savant britannique Francis Galton (1822-1911), éminent statisticien, médecin, géographe et bien d’autres choses encore, la paternité de l’eugénisme (Hereditary Genius, 1869), méthode rationnelle pour orienter l’évolution de l’espèce, «une sorte d’alternative scientifique au christianisme et à son fatalisme» (1). Anne Carol ne la lui conteste certes pas. Mais elle montre l’existence d’une voie française relativement autonome, fort peu statistique et plus idéologique, issue des Lumières, dont Venette, côté privé, et Vandermonde, côté public (Essai sur la manière de perfectionner l’espèce humaine, 1756), seraient des ancêtres. De la «callipédie» à «l’anthropogénisme», en passant par la «mégalanthropogénésie» ou la plus simple «orthogénie», diverses circonlocutions traduisent le souci croissant des médecins ­ car c’est d’eux qu’il s’agit ­ de perfectionner la génération par l’hygiène de l’enfant, de la maternité et donc du couple, point focal de leur attention.

Dans cette voie, plus ordinaire, de gestion de la population, ont oeuvré les Caron, Pinard, Cazalis, Apert, de Lanessan, Toulouse, Binet-Sanglé, Richet, etc., puériculteurs, obstétriciens, hygiénistes, qui rêvent d'être «le flambeau de l'amour», les «jardiniers» de l'espèce et, à cet effet, de redresser, émonder, sarcler, tailler, voire sélectionner les graines. Anne Carol a lu leurs écrits ­ quelque huit cents titres, indice d'une préoccupation intense ­ et nous en livre de larges extraits, sur