Menu
Libération
Critique

Gombrowicz fait d'artifices. Réédition du journal (1953 ­ 1969) du Polonais nomade, ennemi de la «cuculture» et de la pseudo-sincérité, qui, juste avant sa mort, entreprit de faire un «Cours de philosophie en six heures un quart», resté jusque-là inédit.

Article réservé aux abonnés
publié le 11 janvier 1996 à 0h28

Publié en français par Maurice Nadeau aux Lettres nouvelles en 1964,

puis par Christian Bourgois en 1981, le Journal de Witold Gombrowicz est aujourd'hui disponible au format de poche dans une édition mise à jour, dotée de notes et d'index. Proposé à une nouvelle génération de lecteurs, on peut espérer que, mort en 1969 à l'âge de 65 ans, il sera enfin lu à sa place. Car l'auteur de Ferdydurke a souvent été réduit à une suite de lieux communs sur sa grande gueule, sa vie errante et douloureuse. Il fut un vrai nomade, au sens de Deleuze, passant des plaines de la Pologne à la pampa argentine, de Berlin à Paris. Son terrorisme fut plus radical encore. Il visait à dynamiter ce qu'il nomme la «Forme», et par là à se trouver lui-même. Orphée moderne qui sait, pour y être descendu plus d'une fois, ce que sont les enfers, Gombrowicz nous lègue un livre irrespectueux, jeune et dansant: ce Journal, dans lequel ses considérations insolentes sur les écrivains (Dante, Sartre) et la littérature ont le ton de la justesse et une tout autre fonction que le simple plaisir de la boutade ou la recherche d'une pose. L'auteur y mène son combat contre la «cuculture», la frivolité. «Imaginez-vous mon journal ("), écrit-il, comme l'intrusion dans la culture européenne d'un paysan, d'un Polonais campagnard, avec toute la méfiance et le réalisme du paysan.»

C'est en 1952 que Jerzy Giedroyé, rédacteur de la revue de l'émigration polonaise Kultura, demande à Gombrowicz de poursuivre sous la forme d'un jo